Sous surveillance : Le secret de la chambre de Louise
« Non, Louise, pas comme ça ! » Ma voix tremble dans le combiné, mais elle ne m’entend pas. Je suis coincée dans le métro, ligne 8, entre Filles du Calvaire et République, et sur l’écran minuscule de mon téléphone, je regarde la scène se dérouler dans la chambre de ma fille. Je n’aurais jamais dû installer ces caméras. Ou peut-être que si. Je ne sais plus. Tout ce que je sais, c’est que mon cœur bat si fort que j’ai du mal à respirer.
Tout a commencé il y a trois semaines, quand j’ai repris le travail à la mairie du 11e. Ma petite Rose n’avait que cinq mois. Je n’avais pas le choix : mon congé maternité touchait à sa fin et Paul, mon mari, venait de décrocher un poste à Lyon. Il ne rentrait que le week-end. Ma mère habite à Bordeaux et mes amies sont toutes débordées par leur propre vie. Alors j’ai cherché une nounou.
Louise est arrivée un matin de pluie, avec son sourire doux et ses cheveux attachés en chignon. Elle avait des références impeccables, une voix rassurante, et Rose s’est tout de suite endormie dans ses bras. Mais il y avait ce quelque chose… Un regard fuyant, une façon de toucher les objets comme si elle avait peur de les casser. J’ai voulu croire que c’était la nervosité du premier jour.
La première semaine s’est bien passée. Louise m’envoyait des photos de Rose qui riait, qui dormait, qui jouait avec son doudou préféré. Mais chaque soir, en rentrant, je trouvais la maison trop silencieuse, trop rangée. Rose pleurait dès qu’elle me voyait. Paul me disait que j’étais paranoïaque, que toutes les mères ressentaient ça au début.
Mais je n’arrivais pas à me débarrasser de cette angoisse. Alors j’ai commandé deux caméras discrètes sur Internet. L’une dans le salon, l’autre dans la chambre de Rose. J’ai culpabilisé en les installant, mais je me suis dit que c’était juste pour me rassurer.
Ce matin-là, j’ai quitté l’appartement à 8h30. J’ai embrassé Rose sur le front et j’ai confié la clé à Louise. « Tout ira bien », m’a-t-elle dit en souriant. Mais à 10h15, alors que je buvais un café avec mes collègues, une notification a vibré sur mon téléphone : « Mouvement détecté – Chambre Rose ».
J’ai ouvert l’application. Sur l’écran, Louise était assise au bord du lit de Rose. Elle lui chantait une berceuse… mais sa voix était sèche, presque mécanique. Puis elle s’est levée brusquement et a posé Rose dans son lit un peu trop vite à mon goût. Ma fille s’est mise à pleurer. Louise a soupiré bruyamment :
— Ça suffit maintenant ! Tu vas dormir !
Elle a fermé les volets d’un geste sec et quitté la pièce en claquant la porte. Rose hurlait. J’ai senti une boule se former dans ma gorge.
J’ai appelé Louise immédiatement.
— Oui Camille ?
— Est-ce que tout va bien ?
— Oui oui… Rose est un peu grognon aujourd’hui mais rien d’anormal.
Je n’ai rien dit sur la caméra. J’ai raccroché et j’ai continué à regarder.
Louise est revenue dans la chambre dix minutes plus tard. Elle a pris Rose dans ses bras mais au lieu de la bercer doucement, elle l’a secouée légèrement en murmurant :
— Tu vas finir par dormir oui ou non ?
J’ai senti mes jambes se dérober sous moi. J’ai attrapé mon sac et j’ai couru hors du bureau sans prévenir personne.
Dans le métro, chaque minute me semblait une éternité. Je revoyais sans cesse les images sur mon téléphone : la fatigue sur le visage de Louise, l’impatience dans ses gestes… Et moi qui avais confié ce que j’avais de plus précieux à une inconnue.
Quand je suis arrivée chez moi, j’ai trouvé Louise assise sur le canapé, Rose endormie contre elle. Elle a sursauté en me voyant.
— Camille ? Vous êtes déjà là ?
— Oui… Je… Je voulais voir comment allait Rose.
Elle a baissé les yeux. J’ai pris ma fille dans mes bras et j’ai senti son petit corps chaud contre moi. Elle s’est blottie contre mon cou en sanglotant doucement.
J’ai demandé à Louise de partir sur-le-champ. Elle n’a pas protesté. Avant de franchir la porte, elle s’est retournée :
— Je suis désolée… Je n’y arrive plus… Je croyais pouvoir gérer mais je suis épuisée…
Elle est partie sans un mot de plus.
Le soir même, j’ai regardé toutes les vidéos enregistrées par les caméras. Il n’y avait pas de violence physique, mais tant d’indifférence, tant d’agacement… Des gestes brusques, des soupirs exaspérés, des mots durs murmurés à une enfant qui ne comprenait rien.
J’ai appelé Paul en larmes.
— Tu vois ! J’avais raison !
— Mais tu ne peux pas tout contrôler Camille… Tu vas devenir folle à force…
Je n’ai pas dormi cette nuit-là. J’ai pensé à toutes ces mères qui n’ont pas le choix, qui doivent faire confiance à des inconnues pour garder leurs enfants pendant qu’elles travaillent. À toutes celles qui culpabilisent dès qu’elles ressentent un doute.
Le lendemain matin, j’ai gardé Rose avec moi et j’ai appelé une assistante sociale pour demander conseil. Elle m’a dit que ce genre de situation arrivait plus souvent qu’on ne le croit.
Aujourd’hui encore, je me demande si j’aurais dû parler à Louise avant d’installer ces caméras. Si j’aurais pu l’aider au lieu de la juger. Mais comment faire confiance quand on sent que quelque chose cloche ? Comment protéger nos enfants sans sombrer dans la paranoïa ?
Et vous… Qu’auriez-vous fait à ma place ? Est-ce qu’on peut vraiment confier nos enfants sans avoir peur ?