Sous les lumières du mariage : Le choix d’une mère, sacrifice ou trahison ?

« Tu ne comprends donc pas, maman ? Tu m’as tout promis, et maintenant tu me laisses tomber ! » La voix de Camille résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes, incapable de soutenir son regard. Les larmes me montent aux yeux, mais je refuse de pleurer devant elle. Pas cette fois.

Depuis des années, je rêve de ce jour. Le mariage de ma fille unique, Camille, mon soleil, mon espoir après tant d’années de solitude et de sacrifices. J’ai économisé sou à sou, renoncé à tant de choses pour qu’elle ait droit à une fête digne des contes de fées. Mais la vie, cruelle et imprévisible, a décidé autrement.

Tout a basculé il y a trois mois. Mon père, Henri, ce roc silencieux qui m’a élevée seule après la mort de maman, a été hospitalisé d’urgence. Diagnostic : cancer du pancréas, stade avancé. Les médecins ont parlé vite, trop vite, mais j’ai compris l’essentiel : il fallait agir vite, et les traitements coûtaient cher. Très cher. La Sécurité sociale ne couvrait pas tout, et les soins à domicile étaient hors de prix.

J’ai vidé le livret A que je destinais au mariage de Camille sans hésiter. Comment aurais-je pu faire autrement ? Abandonner mon père pour une fête ? J’ai cru naïvement que Camille comprendrait. Après tout, elle aimait son grand-père plus que tout. Mais quand je lui ai annoncé que le budget du mariage serait réduit de moitié, son visage s’est fermé.

« Tu m’as menti toute ma vie ! » a-t-elle hurlé ce soir-là. « Tu préfères ton père à moi ! »

Je suis restée sans voix. Comment lui expliquer que l’amour d’une mère ne se divise pas ? Que j’aurais tout donné pour elle, mais que parfois la vie exige des choix impossibles ?

Les semaines ont passé dans une tension insupportable. Camille a continué les préparatifs avec une froideur qui me glaçait le sang. Elle a refusé que je participe aux essayages de robe, m’a exclue des discussions avec le traiteur. Même son fiancé, Julien, semblait gêné par notre malaise.

Un soir, alors que je rentrais tard de l’hôpital, j’ai trouvé Camille assise dans le salon, les yeux rouges.

— Tu sais ce que ça fait d’être humiliée devant ses amies ? Elles ont toutes eu des mariages somptueux… Moi, j’aurai droit à un buffet froid dans la salle des fêtes municipale !

— Camille…

— Non ! Tu ne comprends pas ! J’ai toujours été la fille différente parce qu’on n’avait pas d’argent. Je voulais juste une fois briller… Juste une fois !

Son cri m’a transpercée. Je me suis revue petite fille, honteuse devant les autres parce que mes vêtements étaient rapiécés. J’ai voulu briser ce cercle pour elle… et voilà que je le perpétuais.

Les jours suivants, j’ai tenté de rattraper le coup : j’ai cousu moi-même des décorations, négocié avec le boulanger du quartier pour un gâteau moins cher. Mais rien n’y faisait. Camille m’évitait, murée dans sa rancœur.

Le jour du mariage est arrivé sous un ciel gris d’avril. J’ai regardé ma fille avancer vers l’autel dans sa robe simple mais élégante, le visage fermé. Mon père n’a pas pu venir ; il était trop faible. J’ai senti un vide immense.

Après la cérémonie, alors que les invités riaient autour du buffet modeste, Camille s’est approchée de moi.

— Tu sais quoi ? Je t’en veux encore… Mais je crois que je commence à comprendre.

J’ai levé les yeux vers elle, surprise.

— J’ai vu papy hier à l’hôpital. Il m’a dit ce que tu avais fait pour lui… Il m’a dit que tu étais la meilleure fille du monde.

Ma gorge s’est serrée.

— Je voulais juste que tu sois fière de moi…

Camille a pris ma main dans la sienne.

— Peut-être qu’on n’aura jamais les moyens des autres… Mais au moins on sait aimer jusqu’au bout.

Les larmes ont coulé sans que je puisse les retenir cette fois. Autour de nous, la fête continuait, simple mais sincère.

Aujourd’hui encore, je me demande : ai-je fait le bon choix ? Peut-on vraiment aimer sans blesser ceux qu’on aime le plus ? Est-ce qu’un sacrifice est toujours compris… ou finit-il par devenir une trahison aux yeux de ceux qu’on voulait protéger ?