Sous le même toit : Quand mon fils me demande l’impossible
« Maman, il faut qu’on parle. »
La voix de Julien tremblait à peine, mais je sentais déjà le poids de ce qu’il allait me demander. Nous étions assis dans la cuisine, la lumière du matin dessinant des ombres sur la table en formica. Camille, sa femme, triturait nerveusement sa tasse de café. Je savais que ce n’était pas une simple visite.
« On a trouvé un appartement à Montrouge… C’est parfait pour nous, mais la banque refuse le prêt sans un garant. »
Je suis restée muette. Mon cœur battait si fort que j’avais l’impression que Julien pouvait l’entendre. À 62 ans, divorcée depuis dix ans, je venais tout juste de finir de rembourser mon propre crédit. J’avais rêvé de cette liberté, de ces années où je pourrais enfin souffler. Et voilà que mon fils me demandait de replonger.
« Tu sais, maman, c’est juste une signature… On a des CDI tous les deux, on est sérieux… »
Camille a ajouté, d’une voix douce : « On ne te demanderait jamais ça si on avait le choix. »
Je les ai regardés tous les deux. Mon fils, mon bébé, devenu adulte, et cette jeune femme que j’aimais comme ma propre fille. Mais je voyais aussi la peur dans leurs yeux, la peur de ne pas réussir à s’installer, de rater ce début de vie à deux.
« Vous vous rendez compte de ce que vous me demandez ? » Ma voix était plus sèche que je ne l’aurais voulu. « Si jamais vous ne pouvez plus payer… Je perds tout. »
Julien a baissé les yeux. Camille a posé sa main sur la sienne.
« On sait que c’est énorme… Mais sans toi, on n’a aucune chance. »
Le silence s’est installé, lourd et glacial. Je me suis levée pour aller ouvrir la fenêtre. L’air frais m’a piqué le visage. Je repensais à toutes ces années où j’avais tout sacrifié pour Julien : les vacances annulées, les heures supplémentaires à l’hôpital, les nuits blanches quand il avait de la fièvre ou du chagrin d’amour.
Mais là… Là, c’était différent.
Le soir même, j’ai appelé ma sœur, Sophie. Elle a éclaté : « Mais tu es folle ?! Tu viens à peine de t’en sortir ! Et s’ils divorcent ? Et s’ils perdent leur boulot ? Tu vas finir à la rue ! »
J’ai raccroché en larmes. Comment choisir entre ma sécurité et le bonheur de mon fils ?
Les jours suivants ont été un supplice. Julien m’envoyait des messages : « On a jusqu’à vendredi pour donner une réponse… » Camille m’a appelée : « On comprend si tu ne peux pas… Mais on espère tellement… »
Je n’arrivais plus à dormir. Je faisais des calculs dans ma tête : et si je devais payer leur crédit ? Et si je devais vendre mon appartement ? Je voyais déjà mes vieux jours dans un studio minuscule, loin de tout.
Un soir, j’ai croisé mon voisin, Monsieur Lefèvre, à qui j’ai tout raconté. Il a souri tristement : « Nos enfants oublient parfois qu’on n’est pas éternels… Qu’on a aussi besoin d’être protégés. »
Le vendredi est arrivé trop vite. Julien et Camille sont revenus à la maison. Ils avaient l’air épuisés.
« Alors ? »
J’ai pris une grande inspiration.
« Je vous aime plus que tout… Mais je ne peux pas faire ça. J’ai trop peur. J’ai travaillé toute ma vie pour avoir ce petit bout de sécurité… Je ne peux pas tout risquer maintenant. »
Julien s’est levé brusquement : « Tu ne crois pas en nous ? Tu penses qu’on va tout gâcher ? »
Camille a tenté de le calmer : « Julien… »
Mais il était déjà dehors, claquant la porte derrière lui.
Je suis restée seule avec Camille. Elle avait les larmes aux yeux.
« Je suis désolée… On aurait dû comprendre… »
Je l’ai prise dans mes bras. J’avais envie de hurler, de pleurer, de revenir en arrière.
Les semaines suivantes ont été glaciales. Julien ne répondait plus à mes appels. J’ai appris par Sophie qu’ils avaient finalement trouvé un autre garant : le père de Camille. Mais quelque chose s’était brisé entre nous.
Un dimanche matin, il est revenu. Il avait l’air fatigué, vieilli.
« Maman… Je suis désolé pour tout ça. J’étais égoïste. Je voulais tellement avancer que j’ai oublié ce que tu avais déjà fait pour moi… »
Je lui ai souri à travers mes larmes.
Aujourd’hui encore, je me demande : ai-je eu raison ? Jusqu’où doit-on aller pour ses enfants ? Peut-on aimer sans tout sacrifier ? Qu’en pensez-vous ?