Quand mon mari m’a abandonnée à la maternité : La force d’une femme française

« Tu exagères, Claire. Ce n’est pas si grave, arrête de faire ta victime. »

La voix de Julien résonne encore dans ma tête, froide, tranchante, alors que je serre les draps du lit d’hôpital entre mes doigts tremblants. La lumière blafarde de la chambre 312 découpe son profil fermé, les bras croisés, le regard fuyant. Je suis en plein travail, la douleur me déchire, mais ce sont ses mots qui me lacèrent le plus.

Je n’aurais jamais cru que ce moment, celui où j’allais donner la vie à notre fille, deviendrait le théâtre de ma plus grande désillusion. J’avais imaginé Julien à mes côtés, me tenant la main, murmurant des encouragements. Mais il est là, distant, agacé par mes cris, par mon besoin de lui. « Tu crois que tu es la première femme à accoucher ? » a-t-il lancé tout à l’heure, alors que je suppliais qu’on appelle la sage-femme.

Je ferme les yeux, j’essaie de me concentrer sur ma respiration comme on me l’a appris aux cours de préparation. Mais chaque contraction ramène la réalité : je suis seule. Seule avec ma douleur, seule avec ma peur. Ma mère, Françoise, m’avait prévenue : « Les hommes ne comprennent pas toujours ce que c’est. Mais tu verras, il sera fier après. » Mais là, je ne vois que son indifférence.

Les heures s’étirent. La nuit tombe sur Lyon. Les bruits du couloir se font rares. Julien pianote sur son téléphone, soupire ostensiblement. J’entends même un message vocal : « Non mais elle en fait des tonnes… Je te jure, c’est insupportable. » Il parle à son frère, Thomas. Je retiens un sanglot. Comment peut-il ?

La sage-femme entre, douce et efficace : « On y est presque, Claire. Vous êtes courageuse. » Je m’accroche à sa voix comme à une bouée. Julien sort de la pièce sous prétexte d’aller chercher un café. Il ne reviendra qu’après la naissance.

Quand enfin j’entends le premier cri de ma fille, tout s’efface un instant : la douleur, la peur, la solitude. Je pleure de joie et de tristesse mêlées. La sage-femme pose le bébé sur moi. « Elle est magnifique », murmure-t-elle. Je caresse ses cheveux noirs, je lui promets en silence de toujours la protéger.

Julien revient, l’air gêné. Il regarde le bébé sans émotion apparente. « Elle a ton nez », dit-il simplement. Je cherche dans ses yeux un éclat de tendresse, un pardon implicite pour son absence. Rien.

Les jours suivants à la maternité sont un mélange d’épuisement et d’amertume. Ma belle-mère, Monique, passe me voir : « Tu sais, les hommes… Ils ne sont pas faits pour ça. Ne lui en veux pas trop. » Mais moi, je sens une colère sourde monter en moi. Pourquoi devrais-je toujours excuser ? Pourquoi mon ressenti serait-il moins important ?

De retour à la maison, tout devient plus lourd. Julien reprend le travail dès le lendemain. Il ne se lève pas la nuit quand la petite pleure. Il me reproche mon manque d’énergie : « Tu pourrais faire un effort pour qu’on retrouve une vie normale… »

Un soir, alors que je berce Camille dans le salon plongé dans la pénombre, ma mère m’appelle :
— Tu tiens le coup ?
— Je ne sais pas… Je me sens invisible.
— Tu n’es pas invisible pour ta fille. Et tu ne dois pas l’être pour toi-même.

Ses mots me frappent. Pourquoi ai-je accepté si longtemps de me taire ? Pourquoi ai-je laissé Julien me faire croire que mes émotions étaient exagérées ?

Les semaines passent. Je m’épuise à tout gérer seule : les couches, les biberons, les rendez-vous médicaux. Julien rentre tard, s’enferme dans son bureau ou sort avec ses amis. Un soir, il rentre ivre et me lance : « T’as changé depuis que t’es mère… T’es plus fun du tout ! »

Je craque. Je hurle toute ma douleur :
— Tu m’as laissée seule le jour où j’avais le plus besoin de toi ! Tu ne comprends rien à ce que je vis !
Il hausse les épaules :
— Tu dramatises tout…

Je réalise alors que ce n’est pas moi qui dramatise. C’est lui qui minimise tout ce que je ressens. Je décide d’en parler à une psychologue de la PMI (Protection Maternelle et Infantile). Elle m’écoute sans juger :
— Vous avez le droit d’être en colère. Vous avez le droit d’attendre du soutien.

Peu à peu, je reprends confiance en moi. J’ose demander de l’aide à mes amies, à ma mère. Je m’inscris à un groupe de parole de jeunes mamans au centre social du quartier. Là-bas, je découvre que je ne suis pas seule : Sophie a vécu la même chose avec son compagnon ; Élodie se sent aussi incomprise.

Un jour, alors que Camille gazouille dans son transat et que le soleil inonde la cuisine, je regarde Julien et je lui dis calmement :
— Je ne veux plus vivre comme ça. Si tu refuses de t’impliquer dans notre famille, alors il faudra qu’on envisage une séparation.
Il me regarde, surpris par ma détermination.
— Tu ne ferais pas ça…
— Si. Pour moi. Pour Camille.

Ce soir-là, pour la première fois depuis longtemps, il reste silencieux. Il ne s’excuse pas vraiment mais il commence à changer : il donne le bain à Camille, prépare le dîner une fois par semaine. Ce n’est pas parfait mais c’est un début.

Je sais que rien ne sera plus jamais comme avant. Mais j’ai compris une chose essentielle : ma valeur ne dépend pas du regard de mon mari ou de ma belle-famille. J’ai survécu à la pire nuit de ma vie et j’en suis sortie plus forte.

Aujourd’hui encore, parfois la colère remonte quand je repense à cette nuit-là. Mais je regarde Camille et je me dis : « Est-ce que je dois continuer à me battre pour ce couple ou dois-je choisir enfin mon bonheur ? »

Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ? Est-ce qu’on doit toujours pardonner au nom de la famille ?