Quand mon fils m’a trahie pour une maison : chronique d’une mère déchirée

« Tu ne penses qu’à toi, maman ! »

La voix de Julien résonne encore dans le salon, tranchante comme un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes. Le silence s’est abattu sur la pièce, seulement troublé par le tic-tac de l’horloge héritée de mes parents. Camille, assise à côté de lui, croise les bras et me lance ce regard froid qui me glace le sang. Je n’ai jamais su comment lui plaire, à cette belle-fille. Depuis leur mariage, elle a pris toute la place, doucement mais sûrement, comme une plante grimpante qui étouffe tout sur son passage.

« Tu sais très bien que notre appartement est trop petit pour accueillir un enfant… » insiste-t-elle, la voix mielleuse mais les yeux durs. « Ta maison est bien trop grande pour toi toute seule. Ce serait logique d’échanger. »

Je voudrais crier que ce n’est pas une question de logique, mais de souvenirs. Cette maison, c’est tout ce qu’il me reste de mon mari, de notre vie à trois. C’est ici que Julien a fait ses premiers pas, ici que nous avons fêté ses anniversaires, ici que j’ai pleuré la mort de mon époux. Mais comment expliquer cela à une femme qui ne voit que des mètres carrés ?

Julien baisse les yeux. Il n’ose pas me regarder. Je sens qu’il vacille, qu’il voudrait me comprendre mais qu’il est déjà trop loin, happé par l’amour ou la peur de décevoir sa femme. « On ne te demande pas de partir loin… Juste d’échanger. Tu aurais notre appartement, il est moderne, pratique… »

Je ferme les yeux un instant. Je revois mon mari, Jean-Pierre, bricolant dans le jardin. Je revois Julien enfant, courant après le chien sous les pommiers. Tout cela devrait-il disparaître pour satisfaire Camille ?

Le soir venu, je m’effondre sur le canapé. Je relis les messages de Julien : « Camille pense que tu ne veux pas notre bonheur… » « On ne comprend pas pourquoi tu refuses… » Les mots me blessent plus que je ne l’aurais cru possible. J’ai tout donné à cet enfant. J’ai travaillé dur après la mort de Jean-Pierre pour qu’il ne manque de rien. Et aujourd’hui, il me tourne le dos pour une femme qui ne voit en moi qu’un obstacle.

Le lendemain, ma sœur Monique passe me voir. Elle comprend tout sans que j’aie besoin de parler. « Tu sais, Françoise, les jeunes aujourd’hui… ils veulent tout tout de suite. Mais tu as le droit de garder ta maison. Ce n’est pas à eux de décider. »

Mais la culpabilité me ronge. Suis-je égoïste ? Est-ce mal de vouloir rester là où j’ai aimé et souffert ?

Les semaines passent et la tension monte. Camille multiplie les allusions : « On pourrait faire un barbecue dans le jardin… si on y vivait ! » Elle invite ses parents à visiter la maison sans même me demander mon avis. Un jour, je les surprends en train de mesurer le salon.

Je sens la colère monter en moi. « Ce n’est pas encore chez vous ici ! » lancé-je plus fort que je ne l’aurais voulu.

Camille me répond du tac au tac : « Mais ça le sera un jour ou l’autre ! Autant s’y préparer ! »

Julien ne dit rien. Il regarde ses chaussures comme un petit garçon pris en faute.

Un soir d’orage, alors que la pluie martèle les vitres, Julien vient seul. Il s’assoit en face de moi, l’air fatigué.

« Maman… Je ne veux pas qu’on se dispute à cause d’une maison… Mais tu dois comprendre Camille aussi. Elle veut fonder une famille et elle pense que tu pourrais nous aider en nous laissant la maison… »

Je sens mes larmes monter mais je me retiens. « Et moi ? Qui pense à moi ? À ce que je ressens ? Tu crois que c’est facile d’être seule ici ? Mais c’est tout ce qu’il me reste… »

Il soupire : « Camille dit que tu t’accroches au passé… »

Je me lève brusquement : « Peut-être ! Mais c’est mon droit ! »

Il part sans un mot de plus.

Les jours suivants sont un enfer silencieux. Plus de nouvelles. Je croise des voisins qui me regardent avec pitié ou curiosité : « Alors, tu vas leur donner la maison ? »

Un matin, je trouve une lettre dans ma boîte aux lettres. C’est Camille :

« Françoise,
Je comprends que ce soit difficile pour vous mais pensez à l’avenir de Julien et à vos futurs petits-enfants. Nous avons besoin d’espace et vous seriez mieux dans un appartement moderne et sécurisé. Ce serait un beau geste d’amour.
Camille »

Un beau geste d’amour… Comme si tous mes sacrifices jusque-là n’avaient compté pour rien.

Je décide alors d’aller voir un notaire pour me renseigner sur mes droits. Il m’explique que rien ne m’oblige à échanger ma maison tant que je suis vivante et lucide.

Mais la solitude me pèse chaque jour davantage. Je me surprends à douter : et si j’étais vraiment égoïste ? Et si je privais Julien d’un bonheur simple ?

Un dimanche matin, alors que je prépare un gâteau aux pommes – celui que Julien adorait enfant –, il sonne à la porte avec Camille.

« On voulait te parler », dit-il d’une voix grave.

Camille prend la parole : « On va chercher une autre solution. On ne veut pas te forcer… Mais sache que tu nous déçois beaucoup. »

Julien baisse la tête mais ne dit rien pour me défendre.

Ils partent sans goûter au gâteau.

Je reste seule dans ma cuisine, le cœur en miettes.

Est-ce cela être mère ? Donner sans compter et finir seule parce qu’on refuse de tout sacrifier ? Où s’arrête l’amour maternel et où commence le droit à exister pour soi-même ?

Et vous… auriez-vous cédé votre maison pour garder votre enfant près de vous ou auriez-vous tenu bon comme moi ?