Quand les grands-parents s’affrontent : la naissance de Louise et la guerre des familles
— Non, maman, tu ne peux pas venir t’installer ici tout de suite !
Ma voix tremble alors que je serre Louise contre moi. Elle a à peine cinq jours, et déjà la maison résonne de disputes. Françoise, ma mère, me regarde avec ses yeux fatigués mais déterminés. Elle pose son sac sur le canapé, comme si elle avait déjà décidé de rester.
— Élodie, tu viens d’accoucher ! Tu ne vas pas t’en sortir toute seule. Et puis, tu sais bien que Nathan travaille encore à distance, il ne pourra pas tout gérer.
Je sens mes larmes monter. Je voudrais qu’elle comprenne sans que j’aie à expliquer. Mais derrière moi, Nathan entre dans le salon, son visage fermé. Il n’a pas dormi plus de trois heures cette nuit.
— Bonjour Françoise…
Il ne la regarde même pas. Je sens la tension monter d’un cran. Monique, sa mère à lui, a déjà appelé trois fois ce matin. Elle habite à dix minutes d’ici, seule dans son grand appartement du centre-ville de Nantes. Mais elle refuse catégoriquement que quelqu’un d’autre vienne « perturber l’équilibre familial ».
— Élodie, je comprends ta mère, mais on avait dit qu’on voulait être tranquilles au début…
Nathan tente de garder sa voix basse pour ne pas réveiller Louise, mais je sens la colère sous-jacente. Je me tourne vers Françoise.
— Maman, tu pourrais rester chez toi et venir chaque jour ?
Elle secoue la tête.
— Tu ne comprends pas… Quand tu es née, ta grand-mère est restée deux semaines avec moi. C’est comme ça qu’on fait dans notre famille !
Je ferme les yeux. Je voudrais disparaître. J’entends le téléphone vibrer : Monique encore.
— Passe-moi le téléphone, Élodie. Je vais lui parler !
Françoise s’empare du portable avant que je puisse réagir. Elle décroche.
— Bonjour Monique… Oui, c’est Françoise…
Je retiens mon souffle. Nathan me lance un regard noir. Louise se met à pleurer.
— Non mais écoutez, je suis la mère d’Élodie ! Je vais rester ici pour aider ma fille et ma petite-fille !
Je n’entends que des bribes de la réponse de Monique, mais le ton monte vite.
— Vous n’avez pas à vous imposer ! Ce n’est pas votre maison !
Françoise se lève d’un bond.
— Je ne m’impose pas ! Je fais ce que toute mère ferait !
Nathan arrache le téléphone des mains de ma mère.
— Maman, on en reparlera plus tard…
Il raccroche brutalement. Françoise le fusille du regard.
— Tu pourrais au moins me soutenir !
Je sens la panique m’envahir. Je suis fatiguée, mon corps me fait mal, et tout ce que je voudrais c’est un peu de paix pour profiter de Louise. Mais au lieu de ça, je dois arbitrer une guerre entre deux femmes qui veulent chacune imposer leur vision de la famille.
Le soir tombe sur Nantes. Françoise s’est enfermée dans la chambre d’amis en pleurant. Nathan est parti marcher pour « prendre l’air ». Je suis seule avec Louise dans le salon silencieux. Je repense à mon enfance : les repas du dimanche chez mes grands-parents, les disputes feutrées entre ma mère et sa belle-mère… Est-ce que tout se répète ?
Le lendemain matin, Monique débarque sans prévenir. Elle sonne à la porte alors que je donne le sein à Louise.
— Bonjour Élodie… Je peux entrer ?
Elle pose son sac sur la table comme si elle était chez elle. Françoise sort de la chambre d’amis en pyjama.
— Ah, vous voilà…
Monique sourit froidement.
— Je viens voir ma petite-fille. Et m’assurer que tout va bien.
Elles se toisent comme deux lionnes prêtes à défendre leur territoire. Nathan arrive derrière Monique, surpris de la voir là.
— Maman ?
Elle l’ignore et s’approche du berceau.
— Elle est magnifique… Elle a tes yeux, Élodie.
Françoise s’approche à son tour.
— Et son petit nez vient de notre famille !
Je sens la colère monter en moi. Je pose doucement Louise dans son berceau et me lève.
— Stop ! Vous croyez vraiment que c’est ça dont j’ai besoin ? Que Louise a besoin ?
Elles se taisent enfin. Je tremble de rage et de fatigue.
— J’ai besoin de calme, d’amour et de soutien. Pas de vos querelles ridicules ! Si vous ne pouvez pas vous entendre, alors partez toutes les deux !
Un silence glacial s’installe. Nathan me prend la main.
— Élodie a raison… On a besoin de temps pour nous trois.
Françoise baisse les yeux. Monique soupire.
— Très bien… Je repasserai plus tard.
Elle quitte l’appartement sans un mot de plus. Françoise retourne dans la chambre d’amis en pleurant doucement. Nathan me serre dans ses bras.
Les jours suivants sont tendus. Chacune essaie de revenir par petites touches : un plat déposé devant la porte par Monique, un texto inquiet de Françoise. Mais je sens que quelque chose s’est brisé. La naissance de Louise aurait dû nous rapprocher ; elle a révélé nos failles.
Un soir, alors que je berce Louise près de la fenêtre ouverte sur les toits gris de Nantes, je me demande : pourquoi est-ce si difficile d’être une famille ? Pourquoi l’amour se transforme-t-il si vite en rivalité ? Est-ce qu’on finira par se pardonner ?