Quand le silence hurle : la disparition de mon fils
« Où est-il ? » La question tourne en boucle dans ma tête, comme un refrain obsédant. Ce matin-là, alors que je préparais le café dans notre petit appartement de Lyon, la sonnette a retenti. J’ai ouvert la porte sur une jeune femme aux yeux rougis, tremblante. « Bonjour… Je m’appelle Camille. Je suis la petite amie de Julien. » Julien, mon fils. Disparu depuis trois semaines.
J’ai senti mes jambes flancher. Camille a posé sur la table un sac à dos usé, celui que Julien emportait partout. Dedans, son portefeuille, son carnet de croquis, et une lettre froissée. « Il m’a écrit ça la veille de sa disparition », a-t-elle murmuré. Mes mains tremblaient en dépliant le papier : « Maman, je suis désolé. Je ne peux plus supporter ce silence entre nous. »
Le silence… Oui, il y avait eu ce froid glacial entre Julien et moi depuis la mort de son père, il y a deux ans. Je n’avais pas su trouver les mots pour lui parler de mon chagrin, ni pour entendre le sien. Il s’était enfermé dans sa chambre, dans ses dessins, dans ses silences. Et moi, j’avais laissé faire, persuadée qu’il finirait par revenir vers moi.
Camille s’est effondrée sur le canapé. « Il m’a dit qu’il se sentait coupable… Qu’il pensait que vous lui en vouliez pour quelque chose. » J’ai senti la colère monter en moi : contre moi-même, contre ce monde injuste qui m’avait déjà arraché mon mari et qui voulait maintenant me prendre mon fils.
Les jours suivants ont été un tourbillon d’appels à la police, d’affiches placardées dans tout le quartier de la Croix-Rousse, d’interrogatoires sans fin. Ma sœur Claire est venue m’aider, mais nos vieilles rancœurs ont vite refait surface. « Tu as toujours été trop dure avec lui », m’a-t-elle reproché un soir où je n’arrivais plus à retenir mes larmes. « Tu ne comprends pas ce que c’est d’être seule avec un adolescent qui refuse de parler ! » ai-je répliqué, la voix brisée.
Camille restait avec moi, silencieuse mais présente. Un soir, elle m’a confié : « Julien avait peur de vous parler de ses études… Il ne voulait plus aller en droit. Il voulait devenir illustrateur. » J’ai senti mon cœur se serrer. Je repensais à toutes ces fois où j’avais balayé ses rêves d’un revers de main : « Le dessin ne nourrit pas son homme », lui avais-je répété cent fois.
Un matin, la police a retrouvé le vélo de Julien près des quais du Rhône. J’ai cru mourir sur place. Mais aucune trace de lui. Juste ce vélo abandonné, comme un symbole de tout ce que j’avais perdu.
Les semaines passaient et l’espoir s’amenuisait. Les voisins évitaient mon regard dans l’ascenseur ; certains murmuraient que Julien avait sûrement fugué pour de bon. D’autres suggéraient qu’il avait mal tourné. Je me suis surprise à fouiller ses affaires à la recherche d’un indice : un ticket de métro, un message caché dans ses carnets… Rien.
Un soir d’orage, alors que je relisais encore et encore sa lettre, Camille a éclaté : « Vous ne l’avez jamais écouté ! Vous ne voyez pas qu’il souffrait ? » Sa voix résonnait dans l’appartement vide. J’ai voulu la gifler, puis je me suis effondrée à genoux devant elle. « Je ne sais pas comment être une bonne mère », ai-je sangloté.
C’est alors que Claire est revenue avec une nouvelle : « J’ai croisé un ancien camarade de Julien au marché. Il l’aurait vu il y a quelques jours à Grenoble… » Un espoir fou s’est rallumé en moi. Camille et moi avons pris le premier train pour Grenoble. Nous avons arpenté les rues sous la pluie battante, interpellant chaque jeune homme aux cheveux bruns.
Dans une petite librairie du centre-ville, j’ai reconnu son style sur une affiche : « Exposition – Dessins de Julien Martin ». Mon cœur battait à tout rompre. Le libraire nous a dit qu’il venait parfois déposer ses œuvres mais qu’il ne donnait jamais d’adresse.
De retour à Lyon, j’ai décidé d’écrire une lettre à mon fils : « Julien, si tu lis ceci, sache que je t’aime tel que tu es. Reviens quand tu voudras. Je t’attendrai toujours. » J’ai laissé la lettre à la librairie de Grenoble.
Les mois ont passé sans nouvelles. Camille a fini par partir ; elle n’en pouvait plus d’attendre dans le vide. Claire a repris sa vie à Paris. Moi, je suis restée seule avec mes regrets et mes souvenirs.
Un matin d’automne, alors que je rentrais des courses, j’ai trouvé une enveloppe glissée sous ma porte. À l’intérieur, un dessin : une mère et son fils assis côte à côte sur un banc au bord du Rhône. Au dos, ces mots : « Je reviendrai quand je serai prêt. Merci d’avoir compris. »
Je me suis effondrée en larmes sur le carrelage froid du couloir. Mon fils était vivant quelque part ; il avait lu ma lettre et savait que je l’aimais malgré tout.
Aujourd’hui encore, j’attends son retour. Mais j’ai compris que l’amour ne suffit pas toujours à réparer les blessures du passé. Peut-on vraiment se pardonner d’avoir échoué avec ceux qu’on aime le plus ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?