Quand la douleur devient force : mon combat pour le respect lors de mon accouchement

« Camille, tu exagères, ce n’est pas si terrible ! » La voix d’Antoine résonne encore dans ma tête, tranchante et froide, alors que je hurlais de douleur sur le lit d’accouchement de l’hôpital de Nantes. J’avais imaginé ce moment mille fois : la main de mon mari serrant la mienne, ses mots doux pour m’encourager, son regard fier et aimant. Mais la réalité s’est fracassée contre mes attentes comme une vague glaciale.

Je me souviens de chaque détail : la lumière crue de la salle, l’odeur du désinfectant, les allers-retours pressés des sages-femmes. Mais surtout, je me souviens du visage fermé d’Antoine, assis dans un coin, les bras croisés, l’air agacé. « Arrête de crier, Camille, tu fais peur à tout le monde », a-t-il lancé alors que je suppliais pour une pause, pour un peu de réconfort. J’ai senti la honte me brûler les joues, mêlée à une colère sourde. Comment pouvait-il me juger alors que je donnais la vie à notre enfant ?

Ma mère, Françoise, était là aussi. Elle a tenté de calmer Antoine : « Laisse-la, c’est normal d’avoir mal ! » Mais il a haussé les épaules, muré dans son incompréhension. Je me suis sentie terriblement seule, trahie par celui qui aurait dû être mon roc. Les contractions se sont intensifiées et j’ai fini par ne plus entendre que le battement affolé de mon cœur et mes propres cris étouffés.

Après des heures d’efforts, Paul est né. Un petit garçon parfait, posé sur ma poitrine. J’ai pleuré de soulagement et d’épuisement. Antoine s’est approché, a pris une photo sans un mot, puis est sorti téléphoner à sa mère. J’aurais voulu qu’il me serre dans ses bras, qu’il me dise « bravo », qu’il partage ce miracle avec moi. Mais il n’a rien fait de tout cela.

Les jours suivants à la maternité ont été un mélange étrange de bonheur et d’amertume. Les infirmières étaient attentionnées ; ma mère venait chaque matin avec des croissants et des mots tendres. Mais Antoine… Il passait en coup de vent, parlait surtout du travail ou du match de foot à venir. Un soir, alors que je tentais d’allaiter Paul en pleurant silencieusement, il a soupiré : « Tu dramatises tout, Camille. D’autres femmes y arrivent très bien. »

Je me suis sentie minuscule. J’ai pensé à toutes ces femmes qui accouchent seules ou mal accompagnées. Pourquoi le respect et la reconnaissance sont-ils si difficiles à obtenir ? Pourquoi certains hommes ne comprennent-ils pas la vulnérabilité et la force qu’il faut pour donner la vie ?

De retour à la maison, le malaise s’est installé comme une brume épaisse. Antoine évitait le sujet ; moi, je ruminais mes blessures. Un soir, alors que Paul dormait enfin après des heures de pleurs, j’ai craqué :

— Antoine, pourquoi tu as été si dur avec moi à l’hôpital ?
Il a haussé les épaules :
— Je ne sais pas… Je ne supporte pas quand tu cries ou que tu te plains. Ça me stresse.
— Tu crois que j’ai choisi d’avoir mal ? Tu crois que j’avais besoin qu’on me fasse sentir faible ?
Il n’a pas répondu. Le silence s’est abattu entre nous.

J’ai commencé à écrire dans un carnet chaque soir. Mes peurs, ma colère, mes espoirs aussi. J’ai lu des témoignages sur Internet : tant de femmes racontaient des histoires semblables. Certaines trouvaient la force de parler à leur conjoint ; d’autres se taisaient et s’éteignaient peu à peu.

Un jour, ma mère m’a prise dans ses bras :
— Tu sais Camille, il faut que tu te fasses respecter. Ce n’est pas parce que tu es devenue maman que tu dois t’effacer.
Ses mots ont résonné en moi comme un électrochoc. J’ai décidé d’agir.

J’ai proposé à Antoine d’aller voir une conseillère conjugale. Il a râlé au début mais a fini par accepter « pour faire plaisir ». La première séance a été tendue ; il minimisait tout, moi je pleurais. Mais peu à peu, il a compris l’ampleur de ma blessure. La conseillère lui a expliqué ce qu’est la violence verbale et émotionnelle pendant l’accouchement.

— Vous savez Antoine, votre femme avait besoin de soutien, pas de jugements. Ce moment reste gravé à jamais.
Il a baissé les yeux.

À la maison, il a commencé à changer petit à petit. Il s’est excusé maladroitement :
— Je ne savais pas… Je croyais bien faire en restant fort.
— Être fort ce n’est pas être froid ou distant, Antoine. C’est être là vraiment.

Nous avons beaucoup parlé depuis. Il a accepté d’assister à des ateliers pour futurs papas dans notre quartier à Nantes. Il a rencontré d’autres hommes qui partageaient leurs peurs et leurs maladresses. Moi aussi j’ai trouvé du soutien auprès d’un groupe de jeunes mamans ; nous avons ri et pleuré ensemble autour d’un café au Parc de Procé.

Aujourd’hui encore, il reste des cicatrices. Parfois je repense à cette salle d’accouchement et j’ai mal au ventre. Mais je suis fière du chemin parcouru. J’ai appris à poser mes limites, à demander du respect sans honte ni colère. Paul grandit entouré d’amour ; Antoine fait des efforts chaque jour pour être un père et un mari plus présent.

Je me demande souvent : combien sommes-nous en France à avoir vécu cette solitude au moment où nous avions le plus besoin d’être soutenues ? Pourquoi le respect des femmes en salle d’accouchement n’est-il pas une évidence ? Et vous… avez-vous déjà ressenti ce manque de reconnaissance dans un moment clé de votre vie ?