Pourquoi Mamie et Papi Refusent d’Écouter ? Le Cri Silencieux de Camille
« Camille, regarde comme elle est jolie, cette poupée ! Elle ressemble à celles que j’avais quand j’étais petite… » La voix de Mamie résonne dans le salon, pleine d’enthousiasme, tandis que je serre le paquet sur mes genoux. Mes doigts tremblent un peu. Je sais déjà ce qu’il y a dedans. Comme chaque année, la même boîte rectangulaire, le même papier doré. Je lance un regard à Maman, qui me sourit d’un air encourageant. Mais elle aussi sait que je n’aime pas les poupées.
J’ouvre le cadeau sous les yeux brillants de Mamie et Papi. Une poupée en porcelaine, habillée d’une robe à volants roses. Je force un sourire. « Merci, Mamie… Merci, Papi… »
Papi s’approche et dépose une main lourde sur mon épaule. « Tu sais, Camille, ces jouets-là, c’est du solide ! Pas comme toutes ces tablettes et ces écrans qui rendent les enfants bizarres… »
Je baisse la tête. Ce que je voulais vraiment, c’était ce kit de dessin numérique dont j’ai parlé toute l’année. J’adore dessiner, inventer des mondes sur ma tablette à l’école. Mais ici, chez eux, c’est comme si mes envies n’existaient pas.
Après le repas, je m’isole dans la chambre d’amis avec la poupée sur les genoux. Je la regarde sans la voir. J’entends les voix dans le salon :
— Elle n’a pas l’air contente, souffle Mamie.
— Les enfants d’aujourd’hui ne savent plus apprécier les vraies choses, répond Papi.
Je ferme les yeux. Pourquoi ne voient-ils pas qui je suis ? Pourquoi leurs souvenirs valent-ils plus que mes rêves ?
Le lendemain matin, Maman me trouve en train de griffonner sur un vieux carnet. « Tu veux qu’on parle à tes grands-parents ? » demande-t-elle doucement.
Je hausse les épaules. « Ils ne comprennent pas… Ils disent toujours que c’était mieux avant. »
Maman soupire. « Tu sais, ils t’aiment à leur façon. Mais parfois, c’est difficile pour eux de voir que le monde change. »
Les jours passent. À chaque visite chez Mamie et Papi, c’est pareil : des jouets traditionnels, des remarques sur « les écrans », des souvenirs d’enfance qui ne sont pas les miens. Un dimanche après-midi, alors que je dessine un dragon sur une feuille volante, Papi entre sans frapper.
— Tu fais quoi ?
— Je dessine…
— Tu pourrais jouer avec ta poupée !
Je serre mon crayon plus fort. « J’aime pas trop les poupées… »
Papi fronce les sourcils. « Mais toutes les petites filles aiment ça ! »
Je sens la colère monter. « Non ! Moi j’aime dessiner ! »
Un silence lourd s’installe. Papi me regarde comme si je venais de dire quelque chose d’incompréhensible.
Le soir venu, j’entends Mamie parler à Maman dans la cuisine :
— On fait tout pour lui faire plaisir… Pourquoi elle ne veut jamais de nos cadeaux ?
— Peut-être qu’il faudrait lui demander ce qu’elle aime vraiment…
Mais Mamie secoue la tête : « À son âge, on ne sait pas ce qu’on veut ! »
Je monte me coucher avec un poids sur la poitrine. Pourquoi est-ce si difficile d’être entendue ?
Quelques semaines plus tard, c’est mon anniversaire. Toute la famille est réunie autour du gâteau au chocolat. Les cadeaux s’empilent sur la table basse. Mon cœur bat fort : et si cette fois… ?
J’ouvre le premier paquet : une boîte de feutres colorés de la part de Maman — elle a compris. Puis vient le tour de Mamie et Papi : une autre poupée, cette fois-ci blonde avec une robe bleue.
Je n’arrive plus à sourire. Les larmes me montent aux yeux malgré moi.
— Camille ? demande Mamie, inquiète.
— Je voulais juste… un kit pour dessiner sur l’ordinateur…
Un silence glacial tombe sur la pièce. Papi se racle la gorge :
— Mais pourquoi tu veux ça ? Ce n’est pas un vrai jouet !
Maman intervient : « Papa, aujourd’hui les enfants créent différemment… Camille adore dessiner sur écran, ça développe son imagination aussi ! »
Mamie secoue la tête : « Nous, on veut juste qu’elle soit heureuse… »
Je me lève brusquement et cours m’enfermer dans la salle de bains. J’entends des voix étouffées derrière la porte.
Plus tard dans la soirée, Mamie vient me retrouver. Elle s’assoit à côté de moi sur le carrelage froid.
— Tu sais, Camille… Quand j’étais petite, ma maman ne comprenait pas pourquoi je voulais lire des romans au lieu d’aider à la cuisine… Peut-être que j’ai oublié ce que ça fait de ne pas être comprise.
Je relève les yeux vers elle. Elle me prend la main.
— On va essayer de faire mieux… Tu veux me montrer comment tu dessines sur l’ordinateur la prochaine fois ?
Un sourire timide naît sur mes lèvres.
Ce soir-là, je comprends que parfois il faut du temps pour que les adultes voient vraiment qui on est derrière leurs souvenirs et leurs peurs du changement.
Mais combien d’enfants restent silencieux comme moi ? Combien de rêves sont étouffés par amour mal exprimé ? Est-ce qu’un jour on saura vraiment s’écouter dans nos familles ?