Pourquoi les parents de mon mari ont refusé de nous aider : Histoire d’un foyer brisé entre espoirs et désillusions
— Tu ne comprends donc pas, maman ? On ne vous demande pas de tout payer, juste un coup de pouce pour l’apport !
La voix de Julien tremblait dans la cuisine, ce matin-là. Je me tenais à ses côtés, les mains moites, le cœur battant trop fort. Madame Lefèvre, droite comme un i dans son tailleur beige, nous fixait avec une froideur qui me glaçait le sang. Son mari, assis à côté d’elle, triturait nerveusement sa montre en or.
— Nous avons travaillé toute notre vie pour ce que nous avons, répondit-elle sèchement. Ce n’est pas à nous de financer vos rêves. Si vous voulez un appartement à Paris, débrouillez-vous comme nous l’avons fait.
Un silence pesant s’abattit sur la pièce. J’avais envie de hurler. Comment pouvaient-ils comparer leur époque à la nôtre ? Les prix de l’immobilier avaient explosé, les salaires stagnaient… Mais je n’ai rien dit. J’ai juste serré la main de Julien sous la table.
Le soir même, en rentrant dans notre petit deux-pièces du 18e arrondissement, Julien a claqué la porte si fort que le miroir de l’entrée a vibré.
— Ils ne comprennent rien ! s’est-il écrié. Rien du tout !
Je me suis assise sur le canapé élimé, les larmes aux yeux. Depuis des mois, nous économisions chaque centime, renoncions aux vacances, aux sorties… Tout ça pour entendre un non catégorique. J’avais honte d’espérer leur aide, mais au fond de moi, je croyais encore à la solidarité familiale.
Les jours suivants furent tendus. Julien s’enfermait dans le silence ou s’énervait pour un rien. Je tentais de relativiser :
— On trouvera une solution… Peut-être qu’on peut demander à mes parents ?
Il a secoué la tête :
— Tes parents n’ont pas les moyens. Et puis… ce n’est pas à eux de payer pour nous.
Il avait raison. Mes parents, ouvriers à Limoges, vivaient modestement. Je me sentais coupable de leur demander quoi que ce soit.
Un dimanche, nous avons été invités chez les Lefèvre pour l’anniversaire du père de Julien. L’ambiance était glaciale. Entre deux bouchées de foie gras, Madame Lefèvre lançait des piques :
— À votre âge, nous avions déjà acheté notre maison à Versailles…
Julien a serré les dents. Moi, j’ai baissé les yeux sur mon assiette. J’avais envie de crier que leur époque n’était pas la nôtre, que leur réussite reposait sur des bases qui n’existaient plus aujourd’hui.
Après le repas, dans le jardin impeccable où même les rosiers semblaient alignés au cordeau, Monsieur Lefèvre m’a prise à part :
— Lucie… Vous comprenez pourquoi on ne peut pas vous aider ?
J’ai tenté un sourire poli.
— Je comprends que vous ayez vos raisons… Mais c’est dur à accepter.
Il a soupiré :
— On veut que Julien apprenne la valeur des choses. On ne veut pas qu’il devienne dépendant.
J’ai eu envie de lui dire qu’on était déjà adultes, responsables… Que ce n’était pas une question de dépendance mais d’un simple coup de pouce pour démarrer notre vie. Mais je me suis tue.
Les semaines ont passé. Julien s’est éloigné de ses parents. Les appels se sont espacés. Moi, je me sentais prise au piège entre deux familles : celle que j’avais rêvé de construire avec Julien et celle qui me rejetait sans même essayer de comprendre.
Un soir d’automne, alors que la pluie battait contre les vitres et que Paris semblait engloutie sous la grisaille, Julien a craqué :
— J’en peux plus… J’ai l’impression qu’ils ne m’aiment pas. Qu’ils ne veulent pas qu’on réussisse.
Je l’ai pris dans mes bras. J’aurais voulu lui dire que tout irait bien, mais je n’en étais plus sûre moi-même.
Nous avons fini par renoncer à notre projet d’achat. Les prix montaient trop vite, nos économies fondaient comme neige au soleil. Nous sommes restés locataires dans notre petit appartement bruyant, entourés des cris des voisins et du métro qui tremblait sous nos pieds.
La distance avec les Lefèvre est devenue un gouffre. Les repas familiaux se sont faits rares. Quand nous y allions, c’était tendu, chacun sur la défensive. Un jour, Madame Lefèvre a laissé échapper :
— Si vous aviez été moins exigeants…
J’ai explosé :
— Exigeants ? On voulait juste un toit ! Vous ne voyez donc pas ce que ça représente aujourd’hui ?
Julien m’a tirée dehors avant que la dispute ne dégénère. Dans la rue froide et sombre, il m’a murmuré :
— Peut-être qu’on devrait couper les ponts…
J’ai pleuré toute la nuit. Je pensais à mes propres parents qui auraient tout donné pour moi s’ils avaient pu. Je pensais à cette famille bourgeoise qui préférait garder ses économies plutôt que d’aider son fils unique.
Aujourd’hui encore, je ne comprends pas vraiment leur choix. Était-ce une question d’argent ? De principes ? Ou simplement d’orgueil ? Notre couple a survécu à cette épreuve mais il en garde des cicatrices.
Parfois je me demande : qu’est-ce qui fait vraiment une famille ? L’argent ? Les principes ? Ou la capacité à se soutenir quand tout devient difficile ? Et vous… qu’auriez-vous fait à leur place ?