Pourquoi je n’ai plus besoin de mes parents : Histoire d’un appartement, d’une famille et de fierté

« Tu ne comprends pas, maman, c’est important pour nous ! » Ma voix tremble, mais je refuse de baisser les yeux devant Monique, la mère de Marc. Nous sommes assis dans leur salon cossu à Neuilly-sur-Seine, entourés de meubles anciens et de tableaux hors de prix. Marc serre ma main sous la table, mais il n’ose pas parler. Gérard, son père, feuillette distraitement Le Figaro, comme si notre présence était un simple bruit de fond.

Monique soupire, lisse sa jupe Chanel et me regarde comme si j’étais une enfant capricieuse. « Marie, tu sais bien que chacun doit apprendre à se débrouiller dans la vie. Nous avons travaillé dur pour ce que nous avons. Ce n’est pas en tendant la main qu’on devient adulte. »

Je sens la colère monter. Nous avons économisé chaque centime depuis trois ans, renoncé aux vacances, aux sorties, même à un chauffage décent cet hiver dans notre minuscule studio du 18e arrondissement. Mais avec la flambée des prix à Paris, l’apport pour un prêt immobilier est devenu un mur infranchissable. Et eux, avec leurs deux résidences secondaires et leurs voyages à Saint-Tropez, refusent de nous prêter même une petite partie de ce dont nous avons besoin.

Marc tente une dernière fois : « Papa, Maman… On ne vous demande pas un cadeau. Juste un prêt, qu’on vous remboursera chaque mois. Vous savez qu’on est sérieux… »

Gérard pose enfin son journal et croise les bras. « Marc, tu es ingénieur, Marie est professeure. Vous avez des salaires corrects. Si vous ne pouvez pas acheter maintenant, attendez encore quelques années. Nous ne sommes pas une banque. »

Le silence tombe. Je sens mes yeux brûler, mais je ravale mes larmes. Je me lève brusquement. « Merci pour votre hospitalité. On va y aller. »

Dans la voiture, Marc ne dit rien. Il regarde la route, les mains crispées sur le volant. Je sens sa honte et sa tristesse. Moi, je suis en colère — contre eux, contre cette société où l’on parle de solidarité familiale mais où tout se résume à l’argent et à la fierté mal placée.

Les semaines passent. Nous continuons à visiter des appartements minuscules, sombres, hors de prix. Chaque refus de prêt bancaire est une gifle supplémentaire. Je commence à douter de tout : de notre projet, de notre couple, même de ma propre valeur.

Un soir, alors que je corrige des copies sur la table branlante de notre cuisine, Marc rentre plus tard que d’habitude. Il pose une enveloppe devant moi.

— C’est quoi ?
— Une lettre de mes parents.

Je l’ouvre avec appréhension. À l’intérieur, un chèque — pas pour l’apport total, mais une somme qui pourrait nous aider à compléter ce qu’il nous manque. Et une lettre sèche : « Nous avons réfléchi. Voici ce que nous pouvons faire. Mais nous attendons que vous soyez responsables et que vous ne comptiez plus sur nous à l’avenir. »

Je devrais être soulagée, heureuse même. Mais je me sens humiliée par leur froideur. Ce n’est pas un geste d’amour ; c’est un test, une transaction.

Marc s’assoit en face de moi.
— On fait quoi ?
— On accepte… mais on leur rendra chaque centime au plus vite.

L’achat se fait dans la douleur : compromis signé dans une agence impersonnelle du 15e arrondissement, nuits blanches à calculer le moindre euro pour les travaux, disputes sur la couleur des murs ou le choix du canapé — tout devient prétexte à tension.

Le jour de l’emménagement, Monique et Gérard passent voir l’appartement. Monique fronce le nez devant la cuisine « trop petite », Gérard critique la vue sur le périphérique.

— Au moins, c’est à vous maintenant… soupire-t-il.

Je retiens mes mots. Oui, c’est à nous — mais à quel prix ?

Les mois passent. Nous remboursons chaque mois le prêt parental avec rigueur. Petit à petit, je retrouve ma fierté : chaque étagère montée, chaque plante posée sur le balcon est une victoire sur leur indifférence.

Mais quelque chose s’est brisé entre nous et eux. Les repas familiaux sont tendus ; les conversations tournent court. Marc s’éloigne de ses parents ; moi aussi.

Un soir d’hiver, alors que je contemple Paris depuis notre minuscule balcon, je me demande : pourquoi est-ce si difficile d’obtenir du soutien sans condition ? Pourquoi l’amour familial doit-il toujours être conditionné par la réussite ou l’argent ?

Est-ce vraiment ça, la famille en France aujourd’hui ? Ou bien sommes-nous tous prisonniers d’une fierté qui nous empêche d’aimer sans compter ?

Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?