Naissance sous tension : Entre ma mère, ma belle-mère et moi

— Non, je t’en supplie, pas elle !

Ma voix tremblait, déchirée par la douleur des contractions et la panique qui montait. Allongée sur le lit d’hôpital de la maternité de Nantes, je serrais la main de Paul, mon mari, si fort que mes ongles s’enfonçaient dans sa peau. Il me regardait, perdu, entre la peur de me contrarier et celle de décevoir sa mère. Derrière la porte, j’entendais déjà le pas décidé de Françoise, ma belle-mère, qui n’avait jamais accepté de rester à sa place.

— Mais chérie, elle veut juste être là pour t’aider…

J’ai fermé les yeux, tentant d’ignorer la contraction qui me coupait le souffle. Aider ? Non. Elle voulait contrôler. Comme toujours. Depuis le début de ma relation avec Paul, Françoise avait tout commenté : notre mariage trop simple à son goût, notre appartement trop petit, notre façon d’élever nos deux premiers enfants. Mais là, c’était mon corps, mon accouchement. Mon moment.

— Je veux ma mère, pas la tienne ! ai-je crié, la voix étranglée par les larmes.

Paul a hésité. Il a jeté un regard vers la porte, puis vers moi. J’ai vu dans ses yeux qu’il était au bord de craquer. Il n’avait jamais su dire non à sa mère. Et moi, j’étais fatiguée de devoir toujours lutter pour exister.

La porte s’est ouverte brusquement. Françoise est entrée, le visage fermé, son sac à main serré contre elle comme un bouclier.

— Alors, on ne veut pas de moi ?

Sa voix était froide, tranchante. Ma mère, assise dans un coin de la pièce, s’est levée timidement.

— Peut-être que je devrais sortir…

— Non ! ai-je hurlé. Maman, reste !

Françoise a lancé un regard assassin à ma mère. J’ai senti la honte m’envahir : pourquoi fallait-il que tout se joue ici, devant tout le monde ? Pourquoi fallait-il que je sois celle qui brise l’harmonie ?

La sage-femme est entrée à ce moment-là, surprise par l’ambiance électrique.

— Mesdames, il va falloir faire un choix. Une seule personne peut rester avec madame pendant l’accouchement.

Un silence glacial a envahi la pièce. Paul a baissé les yeux. Ma mère s’est tournée vers moi, les larmes aux yeux.

— C’est toi qui décides, ma chérie.

J’ai regardé Françoise. Son visage était fermé, presque hostile. J’ai pensé à toutes ces fois où elle avait critiqué mes choix de mère, où elle avait imposé ses règles chez nous sans jamais demander mon avis. J’ai pensé à mes enfants qui avaient peur d’elle parfois, à Paul qui se sentait coupable dès qu’il osait me défendre.

— Je veux ma mère avec moi. Je suis désolée.

Françoise a blêmi. Elle a serré les lèvres si fort que je croyais qu’elles allaient disparaître. Sans un mot, elle a tourné les talons et claqué la porte derrière elle.

Le silence est retombé. Paul s’est assis au bord du lit, la tête dans les mains. Ma mère m’a prise dans ses bras. J’ai pleuré toutes les larmes que j’avais retenues depuis des années.

L’accouchement a été long et difficile. Entre deux contractions, je repensais à Françoise dans le couloir, seule avec sa colère et sa fierté blessée. Je savais que ce choix allait laisser des traces. Mais c’était mon droit : pour une fois, j’avais choisi pour moi.

Après la naissance de Camille, tout a changé. Françoise ne venait plus à la maison sans prévenir. Elle boudait lors des repas de famille. Paul essayait de recoller les morceaux mais je sentais qu’il m’en voulait aussi : il n’osait pas me le dire mais il aurait préféré éviter ce conflit ouvert.

Un soir d’automne, alors que Camille dormait dans son berceau et que les garçons jouaient dans leur chambre, Paul est venu s’asseoir près de moi sur le canapé.

— Tu crois qu’on pourra réparer ça un jour ?

J’ai haussé les épaules.

— Je ne sais pas… Mais je ne peux plus vivre en me sacrifiant pour éviter les conflits. J’ai besoin qu’on me respecte.

Il a soupiré longuement.

— Tu sais… Je comprends ce que tu ressens. Mais c’est difficile pour moi aussi. Elle est ma mère…

Je l’ai regardé dans les yeux.

— Et moi ? Je suis ta femme. La mère de tes enfants. Est-ce que tu comprends ce que ça veut dire pour moi ?

Il n’a rien répondu. Le silence entre nous était lourd de tout ce qu’on n’osait pas se dire depuis des années.

Les semaines ont passé. J’ai essayé d’appeler Françoise mais elle ne répondait pas ou restait froide au téléphone. À Noël, elle a offert des cadeaux aux enfants mais m’a ignorée toute la soirée. Ma mère essayait d’arranger les choses mais rien n’y faisait : le fossé était creusé.

Un jour, alors que je déposais Camille chez la nounou à Saint-Herblain, j’ai croisé Françoise devant l’école maternelle où allait mon fils aîné.

— Bonjour Françoise…

Elle m’a à peine regardée.

— Bonjour.

J’ai senti une boule se former dans ma gorge.

— Je suis désolée pour ce qui s’est passé à la maternité… Mais c’était important pour moi d’avoir ma mère avec moi ce jour-là.

Elle a haussé les épaules.

— Tu as fait ton choix. Maintenant il faut vivre avec.

Elle est partie sans se retourner.

Ce soir-là, j’ai pleuré longtemps dans la salle de bain pendant que Paul couchait les enfants. Je me suis demandé si j’avais eu raison de tenir tête ou si j’avais tout gâché pour rien.

Aujourd’hui encore, des mois après la naissance de Camille, rien n’est vraiment réparé. La famille est divisée en deux camps silencieux et Paul et moi avançons sur une corde raide entre loyauté et amour-propre.

Est-ce qu’on peut vraiment être soi-même sans blesser ceux qu’on aime ? Ou bien faut-il toujours choisir entre son bonheur et celui des autres ?