Mon mari a voyagé en première classe avec sa mère, nous laissant derrière – Histoire d’une famille française à l’épreuve du vol et de la vie
« Tu comprends bien, Lucie, ce n’est pas contre toi. Maman a besoin de confort, tu sais comment elle est… » La voix de Pierre résonne encore dans ma tête alors que je m’efforce de calmer Paul et Camille, nos deux enfants surexcités par l’idée de prendre l’avion. Nous sommes à Roissy, il est six heures du matin, et déjà je sens la fatigue me gagner. Mais ce n’est rien comparé à la brûlure de l’humiliation qui me ronge depuis que Pierre m’a annoncé, devant sa mère, qu’il avait réservé deux billets en première classe – pour lui et elle – tandis que moi et les enfants voyagerions en classe économique.
Je serre les dents. « Ce n’est pas grave, maman, on sera ensemble ! » s’exclame Camille en attrapant ma main. Paul, lui, ne comprend pas pourquoi papa ne sera pas avec nous. Je n’ai pas la force de lui expliquer. Je regarde Pierre et sa mère, élégamment vêtus, s’éloigner vers la file prioritaire. Sa mère me lance un sourire pincé : « Bon courage avec les petits ! » Je détourne les yeux pour cacher mes larmes.
Dans l’avion, coincée entre un homme ronflant et une femme qui lit Paris Match à voix haute, j’essaie de distraire les enfants avec des coloriages. Mais mon esprit tourne en boucle. Comment Pierre a-t-il pu faire ça ? Après quinze ans de mariage, deux enfants, tant de sacrifices… Je repense à toutes ces fois où j’ai mis mes envies de côté pour lui, pour sa carrière d’avocat, pour sa mère qui s’invite chez nous chaque dimanche sans prévenir.
À l’atterrissage à Nice, Pierre et sa mère nous attendent déjà à la sortie. Il me tend un café comme si de rien n’était. « Alors, le vol ? Pas trop fatigant ? » Je sens la colère monter. « Fatigant ? Tu veux vraiment savoir ? Essaie donc de gérer deux enfants surexcités pendant que toi tu bois du champagne avec ta mère ! » Sa mère lève les yeux au ciel : « Lucie, tu dramatises toujours tout… » Pierre soupire : « On en parlera plus tard. »
Mais plus tard n’arrive jamais vraiment. Pendant tout le séjour chez ses parents à Antibes, je me sens invisible. Sa mère critique ma façon d’élever les enfants, de cuisiner (« Tu sais, chez nous on ne met pas autant d’ail dans la ratatouille… »), et Pierre prend toujours son parti. Un soir, alors que je couche Camille, elle me demande : « Maman, pourquoi mamie ne t’aime pas ? » Je ravale mes larmes. Comment expliquer à une enfant que parfois les adultes sont cruels sans raison ?
Le dernier soir des vacances, après un dîner tendu où sa mère a encore fait une remarque sur mon accent du Nord (« On sent bien que tu n’es pas d’ici… »), je craque. Les enfants dorment. Je retrouve Pierre sur la terrasse.
— Tu te rends compte de ce que tu m’as fait vivre ?
— Lucie, arrête… Tu exagères.
— Non ! J’en ai assez d’être traitée comme une étrangère dans ma propre famille ! Tu m’as humiliée devant ta mère, devant nos enfants !
— Ce n’était pas mon intention…
— Mais c’est ce que tu as fait !
Il se tait. Pour la première fois depuis longtemps, il semble déstabilisé.
— Tu sais quoi ? Je ne rentrerai pas avec vous demain. Je prends un train avec les enfants. J’ai besoin de réfléchir.
Il tente de me retenir mais je suis déjà partie préparer nos valises. Dans le train du retour vers Lille, je regarde mes enfants dormir contre moi. Je pense à toutes ces années où j’ai accepté l’inacceptable par peur du conflit ou par amour. Mais l’amour ne doit pas rimer avec effacement.
De retour à la maison, Pierre m’appelle tous les jours. Il promet de changer, de parler à sa mère. Mais je ne veux plus de promesses en l’air. Je commence à sortir seule avec les enfants, à revoir mes amies que j’avais délaissées. Peu à peu, je retrouve confiance en moi.
Un soir d’automne, Pierre frappe à la porte. Il a l’air fatigué, sincère.
— Lucie… Je suis désolé. J’ai été lâche. J’ai laissé ma mère prendre trop de place dans notre vie… Je veux qu’on recommence autrement.
Je le regarde longtemps avant de répondre.
— Je veux bien essayer… mais cette fois-ci, c’est moi qui fixe les règles.
Aujourd’hui encore, il y a des hauts et des bas. Mais je sais que je ne laisserai plus jamais personne décider à ma place de ce que je vaux.
Est-ce qu’on peut vraiment changer les habitudes d’une famille ? Ou bien sommes-nous condamnés à rejouer sans cesse les mêmes scènes ? Qu’en pensez-vous ?