Mon gendre pensait que l’entreprise familiale était un passe-droit : il a failli tout détruire

« Tu ne peux pas me demander de faire ça, Françoise ! Ce n’est pas ce qu’on m’avait promis ! »

La voix de Julien résonne encore dans ma tête, pleine d’agacement et d’incompréhension. Il est debout dans notre petit bureau, les bras croisés, le regard fuyant. Je serre les dents pour ne pas exploser. Ma fille, Camille, assise à côté de lui, baisse les yeux, gênée. Je sens mon cœur se serrer : comment en sommes-nous arrivés là ?

Je m’appelle Françoise, j’ai 56 ans. Avec mon mari, Gérard, nous avons monté notre boutique en ligne de produits artisanaux il y a douze ans, à Nantes. On a tout sacrifié : nos soirées, nos vacances, parfois même notre santé. Mais on était fiers de ce qu’on avait bâti. Quand Camille nous a annoncé qu’elle voulait reprendre l’affaire avec son mari Julien, j’ai cru rêver. La relève !

Mais très vite, j’ai compris que Julien n’avait pas la même vision du travail que nous. Il est arrivé le premier jour en baskets de marque et chemise repassée, un sourire satisfait sur le visage. « Je vais gérer le site web », a-t-il dit. « Je suis à l’aise avec l’informatique. »

Au début, j’ai voulu lui faire confiance. Mais au bout d’une semaine, rien n’avançait. Les commandes s’accumulaient sans être traitées. Les clients se plaignaient de ne pas recevoir leurs colis à temps. Un matin, j’ai surpris Julien en train de regarder des vidéos sur son téléphone alors qu’il était censé préparer les expéditions.

« Julien, tu peux m’aider à emballer ces commandes ? » ai-je demandé.

Il a levé les yeux au ciel : « Ce n’est pas mon rôle, Françoise. Je suis là pour la stratégie digitale, pas pour faire des cartons. »

J’ai senti la colère monter. Gérard aussi commençait à perdre patience. Lui qui est d’habitude si calme a fini par hausser le ton : « Ici, tout le monde met la main à la pâte ! Même Camille emballe les colis quand il faut ! »

Mais Julien ne voulait rien entendre. Il se plaignait à Camille le soir : « Tes parents sont trop exigeants. Ils ne comprennent pas qu’on peut travailler autrement aujourd’hui… »

Camille essayait de faire tampon entre nous. Elle me disait : « Maman, laisse-lui du temps… Il n’a jamais travaillé dans une petite boîte comme la nôtre. » Mais chaque jour qui passait, je voyais notre entreprise couler un peu plus.

Un soir, alors que je faisais les comptes dans la cuisine, Camille est venue me voir en larmes.

« Maman… Je ne sais plus quoi faire. Julien veut qu’on parte monter notre propre affaire ailleurs. Il dit que vous ne lui faites pas confiance… »

J’ai posé mon stylo et pris sa main : « Camille, tu sais ce que ça représente pour nous cette entreprise ? On l’a construite pour vous transmettre quelque chose de solide… Mais il faut du respect et du travail pour ça. »

Elle a hoché la tête en silence.

Les semaines suivantes ont été un enfer. Julien arrivait de plus en plus tard, repartait plus tôt sous prétexte de « rendez-vous professionnels ». Il refusait d’aider lors des pics d’activité avant Noël — la période la plus cruciale pour nous.

Un matin de décembre, catastrophe : une commande importante destinée à une boutique de Rennes n’était pas partie à temps parce que Julien avait « oublié » de prévenir le transporteur. Le client furieux a menacé d’annuler tous ses futurs achats.

Gérard a craqué : « Ça suffit ! Si tu ne veux pas travailler comme tout le monde ici, tu n’as rien à faire dans cette entreprise ! »

Julien a claqué la porte en hurlant qu’on était « vieux jeu », que « l’avenir c’est l’automatisation », que « personne ne veut bosser comme des forçats aujourd’hui ».

Camille est restée prostrée pendant des jours. J’ai cru la perdre elle aussi.

C’est alors que j’ai pris une décision difficile : j’ai convoqué Camille et Julien autour de la table du salon.

« Écoutez-moi bien tous les deux », ai-je dit d’une voix tremblante mais ferme. « Cette entreprise, c’est notre vie. On ne vous demande pas d’être des esclaves, mais de respecter ce qu’on a construit et d’y mettre du vôtre. Si ce n’est pas ce que vous voulez… alors il vaut mieux partir maintenant que tout détruire. »

Julien a baissé les yeux. Pour la première fois, il semblait comprendre la gravité de la situation.

Camille a pris la parole : « Maman… Papa… Je veux rester avec vous. Mais il faut que Julien change… Sinon je ne pourrai pas continuer comme ça non plus. »

Le silence s’est installé.

Après cette soirée-là, Julien a disparu quelques jours chez ses parents à Angers. Quand il est revenu, il avait l’air changé — ou du moins fatigué.

Il m’a demandé pardon.

« J’ai cru que tout me serait donné parce que c’était la famille… J’avais tort », a-t-il murmuré.

Depuis ce jour-là, il fait des efforts — petits mais réels. Il emballe parfois les colis avec moi, râle moins souvent et propose même des idées pour améliorer le site web sans négliger le reste.

Mais je reste sur mes gardes. La confiance se regagne difficilement.

Parfois je me demande : est-ce que transmettre une entreprise familiale à ses enfants est vraiment un cadeau ? Ou est-ce un fardeau qu’on leur impose sans le vouloir ?

Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?