Mon frère a refusé de s’occuper de maman : depuis ce jour, tout a basculé
« Tu ne comprends pas, Camille ! Je ne peux pas tout sacrifier pour elle ! »
La voix de Paul résonne encore dans l’entrée, sèche, tranchante. Je serre les poings, debout devant la porte de la maison de notre enfance, à Lyon. Maman est assise dans le salon, le regard perdu dans le vide, ses mains tremblantes posées sur ses genoux. Depuis son AVC, elle n’est plus la même. Et moi, je ne dors plus. Je vis dans la peur qu’elle tombe, qu’elle s’étouffe, qu’elle oublie qui je suis.
Paul, lui, n’a jamais vraiment quitté la maison. Cinq ans de plus que moi, mais toujours ce même adolescent attardé qui attend que tout lui tombe dans la main. Après le bac, il a enchaîné les petits boulots, squatté la chambre d’amis, profité des repas de maman. Moi, j’ai fui dès que j’ai pu : fac à Grenoble, puis boulot à Paris. J’ai construit ma vie loin d’ici, loin de cette maison pleine de non-dits et de silences lourds.
Mais quand maman est tombée malade, c’est moi qu’on a appelée. « Camille, il faut que tu viennes », m’a dit la voisine au téléphone. Paul n’a rien fait. Il était là, pourtant. Mais il a préféré fermer les yeux.
Ce soir-là, j’ai pris le premier train pour Lyon. J’ai retrouvé maman à l’hôpital, fragile comme une enfant. Paul n’était même pas venu la voir. Quand je l’ai appelé, il a soupiré : « Je suis fatigué. Tu sais comment elle est… »
J’ai compris que j’étais seule.
Les semaines ont passé. J’ai pris un congé sans solde pour rester auprès d’elle. Je l’ai aidée à marcher, à manger, à retrouver un peu de dignité. Paul passait parfois en coup de vent, prenait une bière dans le frigo et repartait sans un mot.
Un soir d’automne, alors que je préparais le dîner, j’ai surpris une conversation entre Paul et un agent immobilier dans le jardin.
— La maison vaut combien à ton avis ?
— Avec le terrain et l’emplacement… au moins 400 000 euros.
— Parfait. Dès qu’on peut vendre, tu m’appelles.
J’ai senti mon sang se glacer. Vendre la maison ? Notre maison ? Maman était encore vivante !
Je suis sortie en trombe :
— Paul ! Qu’est-ce que tu fais ?
Il a haussé les épaules :
— On ne va pas rester coincés ici toute notre vie pour elle ! Elle ne s’en rend même plus compte…
J’ai hurlé. Les mots sont sortis tout seuls :
— Tu es égoïste ! Tu n’as jamais rien fait pour elle !
Il a claqué la porte derrière lui.
Les jours suivants ont été un enfer. Maman pleurait sans comprendre pourquoi Paul ne venait plus. Je faisais semblant d’être forte mais je m’effondrais chaque nuit dans la salle de bains.
Un matin, j’ai trouvé une lettre sur la table du salon :
« Camille,
Je pars quelques temps chez des amis à Marseille. Je ne peux plus supporter cette ambiance. Prends soin de maman si tu veux mais ne compte plus sur moi.
Paul »
J’ai relu la lettre dix fois. J’avais envie de tout casser. Comment pouvait-il nous abandonner ? Comment pouvait-il penser à vendre la maison alors que maman avait encore besoin de nous ?
Les mois ont passé. J’ai dû vendre mon appartement à Paris pour payer une aide à domicile. J’ai mis ma carrière entre parenthèses. Les amis se sont éloignés. Seule la voisine passait parfois prendre des nouvelles.
Un soir d’hiver, alors que je bordais maman dans son lit, elle m’a regardée avec des yeux pleins de larmes :
— Pourquoi Paul ne vient plus ?
Je n’ai pas su quoi répondre.
La solitude est devenue mon quotidien. Les souvenirs me hantaient : les Noëls passés tous ensemble autour du sapin, les disputes pour savoir qui aurait la dernière part de galette… Tout semblait si loin.
Un jour, Paul a réapparu. Il est entré sans frapper, l’air fatigué mais déterminé.
— Il faut qu’on vende la maison, Camille. J’ai besoin d’argent.
J’ai cru m’étrangler :
— Tu n’as aucune honte ? Maman est encore là !
Il a haussé le ton :
— Et alors ? Elle ne s’en rend même plus compte ! On va finir ruinés à force de tout payer pour elle !
J’ai claqué la porte au nez de mon propre frère.
Depuis ce jour-là, ni maman ni moi n’avons voulu entendre parler de lui. Il a tenté quelques messages, des excuses maladroites, mais c’était trop tard. La confiance était brisée.
Aujourd’hui, maman s’éteint doucement dans sa chambre baignée de lumière. Je suis là, seule avec elle et nos souvenirs brisés.
Parfois je me demande : comment une famille peut-elle se déchirer à ce point ? Est-ce vraiment l’argent qui détruit tout… ou juste l’indifférence ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?