Mariage, Argent et Frères : Le Prix de l’Amour

« Tu ne comprends pas, Camille ! J’ai besoin de cet argent, sinon on ne pourra jamais se marier ! »

La voix de Julien résonne encore dans le salon, tranchante, désespérée. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes. Maman, assise sur le vieux canapé bleu, a les yeux rougis. Papa, lui, regarde par la fenêtre, silencieux, comme s’il pouvait fuir la scène par la pensée.

Tout a commencé il y a trois semaines. Julien est venu dîner avec moi et nos parents à Nantes. Il avait ce sourire nerveux, celui qu’il arborait enfant quand il préparait une bêtise. Après le dessert, il a posé sa fourchette, pris une grande inspiration et lâché : « Avec Élodie, on veut se marier cet été. Mais… on n’a pas les moyens de louer une salle. »

Papa a souri, fier. Maman a applaudi doucement. Mais Julien n’avait pas fini : « J’ai pensé… Vous pourriez vendre la maison de Mamie à Saint-Brieuc. On partagerait l’argent. »

Le silence est tombé d’un coup. Je me suis sentie glacée. Cette maison, c’est tout ce qui reste de Mamie Jeanne. Elle est morte l’an dernier, et on n’a pas encore eu le courage d’y retourner. Pour moi, c’est un sanctuaire ; pour Julien, un portefeuille.

« Tu veux vendre la maison ? » ai-je murmuré.

Julien a haussé les épaules : « On n’y va jamais. Ça dort là-bas. Et puis, c’est juste… un toit vide. »

Maman a secoué la tête : « C’est notre histoire, Julien. Tu ne peux pas demander ça comme si c’était rien ! »

Depuis ce soir-là, tout s’est effondré. Julien est revenu à la charge tous les deux jours. Il a même menacé de ne plus inviter Papa et Maman au mariage si on ne vendait pas la maison.

Un soir, alors que je rentrais du travail, j’ai trouvé Maman en larmes dans la cuisine.

« Il ne comprend pas… Il ne comprend rien… »

Je me suis assise à côté d’elle, j’ai pris sa main.

« Tu sais, Camille… On n’a pas beaucoup d’argent non plus. Si on vend la maison de Mamie, on n’aura plus rien à transmettre. Et puis… c’est comme si elle mourait une deuxième fois. »

J’ai senti la colère monter en moi contre Julien. Mais au fond, je savais qu’il n’était pas mauvais. Il était juste perdu, pressé par Élodie et sa belle-famille qui veulent un mariage grandiose à La Baule.

Quelques jours plus tard, Julien m’a appelée.

« Camille… Tu pourrais parler à Papa et Maman ? Leur expliquer que c’est pour mon bonheur ? »

J’ai explosé :

« Ton bonheur ? Et le leur ? Et le mien ? Tu crois qu’on peut tout acheter avec de l’argent ? Tu crois que Mamie aurait voulu ça ? »

Il a raccroché sans un mot.

Depuis, les repas de famille sont devenus des champs de bataille silencieux. Papa ne parle plus à Julien. Maman fait semblant de sourire mais son regard trahit sa tristesse. Moi, je me sens coupable de ne pas pouvoir réconcilier tout le monde.

Un dimanche matin, j’ai pris ma voiture et je suis allée seule à Saint-Brieuc. J’ai ouvert les volets de la maison de Mamie ; la lumière a dansé sur les photos jaunies du salon. J’ai pleuré en silence devant le vieux fauteuil où elle tricotait.

Je me suis demandé : est-ce que je suis égoïste de vouloir garder cette maison ? Ou est-ce Julien qui l’est en voulant la vendre pour une fête d’un soir ?

En rentrant à Nantes, j’ai trouvé Julien devant chez moi.

« Je suis désolé… » a-t-il soufflé.

On s’est assis sur le trottoir comme deux enfants perdus.

« Je veux juste qu’Élodie soit fière de moi… Sa famille a de l’argent, tu sais ? Moi j’ai rien à offrir… »

Je l’ai pris dans mes bras.

« Tu as une famille qui t’aime. C’est déjà beaucoup… »

Mais au fond de moi, je savais que rien ne serait plus jamais comme avant.

Aujourd’hui encore, la décision n’est pas prise. Vendre ou garder ? Sacrifier nos souvenirs ou le bonheur de mon frère ?

Et vous… Qu’auriez-vous fait à ma place ? Est-ce qu’on peut vraiment mettre un prix sur l’amour ou sur la mémoire d’une famille ?