Ma fille s’appelle Capucine, et alors ?
« Capucine ? Sérieusement ? On dirait le nom d’une vieille tante ou d’une plante ! »
Je relis ce commentaire pour la dixième fois, les mains tremblantes, le cœur battant trop fort. Il est 2h du matin, la maison est silencieuse, sauf les petits bruits de respiration de ma fille, endormie dans son berceau à côté de moi. Je devrais dormir, profiter de ces rares moments de calme, mais je suis là, scotchée à mon téléphone, à lire des dizaines de messages qui jugent, critiquent, parfois insultent le prénom que j’ai choisi pour mon bébé.
« Hazel, tu ne pouvais pas choisir un prénom normal ? »
« Pauvre enfant, elle va se faire harceler à l’école ! »
« Tu veux vraiment qu’elle souffre toute sa vie ? »
Je serre les dents. Je ne comprends pas cette violence. Depuis quand le choix d’un prénom déclenche-t-il autant de haine ? J’ai grandi à Nantes, dans une famille où l’originalité était une qualité. Ma mère s’appelle Violette, mon père Augustin. J’ai toujours aimé les prénoms fleuris, poétiques. Quand j’ai rencontré Paul, mon mari, il a tout de suite compris cette sensibilité. Nous avons longtemps cherché le prénom parfait pour notre fille. Capucine s’est imposé comme une évidence : doux, coloré, un brin espiègle.
Mais ce que je n’avais pas prévu, c’est la violence des réseaux sociaux. Tout a commencé innocemment : une photo de Capucine, emmitouflée dans sa couverture tricotée par Mamie Violette, et une légende simple : « Bienvenue au monde, Capucine. »
En moins d’une heure, la publication explose. Des centaines de likes… puis les premiers commentaires négatifs. J’essaie d’ignorer. Mais plus je lis, plus je sens la colère monter. Pourquoi tant de gens se sentent-ils autorisés à juger ?
Le lendemain matin, Paul me trouve assise dans la cuisine, les yeux rougis.
— Qu’est-ce qu’il se passe ?
Je lui tends mon téléphone sans un mot. Il lit quelques messages et secoue la tête.
— Laisse tomber, Hazel. Ce sont des idiots. On s’en fiche de leur avis.
Mais je n’arrive pas à m’en détacher. Je pense à Capucine. À ce que ces mots pourraient lui faire si elle les lisait un jour.
Dans l’après-midi, ma sœur Camille passe me voir.
— Tu as vu ce qui se dit sur Facebook ?
— Oui…
— Tu sais quoi ? Moi je trouve ça beau que tu assumes tes choix. Et puis Capucine, c’est adorable !
Elle me serre fort dans ses bras. Je sens mes larmes couler sur son épaule.
Mais la tempête ne faiblit pas. Sur Twitter, quelqu’un partage ma publication en se moquant : « Les parents d’aujourd’hui n’ont vraiment aucune limite… » D’autres enchaînent : « Après Pomme et Cerise, voilà Capucine ! »
Je décide de répondre. Pas par colère, mais parce que je refuse de laisser ces inconnus définir qui je suis et ce que je transmets à ma fille.
Je poste un message :
« À tous ceux qui critiquent le prénom de ma fille : Capucine est un prénom français ancien, plein de douceur et de poésie. Derrière chaque prénom il y a une histoire, une famille, des rêves. Merci de respecter cela. »
Les réactions sont immédiates. Certains continuent à se moquer, mais d’autres me soutiennent :
« Bravo Hazel ! Capucine est un très joli prénom ! »
« Les gens sont méchants gratuitement… Courage ! »
Je me sens moins seule. Mais la blessure reste là, sourde et profonde.
Quelques jours plus tard, au marché du samedi matin, je croise Madame Lefèvre, la boulangère.
— Alors Hazel, comment va la petite Capucine ?
Je souris timidement.
— Elle va bien… Merci.
— Vous savez, moi aussi on s’est moqué du prénom de mon fils quand il est né. Maintenant tout le monde l’adore ! Les gens parlent beaucoup mais oublient vite.
Je rentre chez moi un peu plus légère. Mais le soir venu, je repense à tout ça en berçant Capucine.
Pourquoi notre société juge-t-elle autant ce qui sort de la norme ? Pourquoi tant d’agressivité pour un simple prénom ?
Paul me rejoint dans la chambre.
— Tu sais Hazel… Ce qui compte c’est que Capucine grandisse entourée d’amour. Les autres finiront par s’y faire.
Il a raison. Mais au fond de moi subsiste une inquiétude : et si Capucine souffrait un jour à cause de notre choix ? Et si elle nous en voulait ?
Quelques semaines passent. Les commentaires se calment peu à peu. Je reçois même des messages privés de mamans qui me remercient d’avoir osé défendre mon choix.
Un soir, alors que je couche Capucine, je lui murmure :
— Tu sais ma chérie, ton prénom est unique parce que tu es unique. Ne laisse jamais personne te faire croire le contraire.
En refermant la porte de sa chambre, je me demande : pourquoi avons-nous tant besoin d’être validés par les autres ? Et vous, auriez-vous eu le courage d’assumer un choix qui dérange ?