« Ma belle-mère voulait refaire sa vie, mais je l’ai remise à sa place » : Le coup de fil qui a tout bouleversé
« Tu ne peux pas faire ça à Naomi. »
La voix de Thomas résonne dans le combiné, sèche, tranchante. Je serre le téléphone contre mon oreille, les mains moites. Je regarde par la fenêtre de mon petit appartement à Montreuil, les lumières de la ville qui clignotent dans la nuit d’automne. Je sens la colère monter, mais aussi une immense tristesse. Comment en est-on arrivé là ?
Je m’appelle Élodie. J’ai 50 ans. Il y a vingt-cinq ans, j’ai mis au monde Naomi, ma fille unique, mon rayon de soleil. Nous avons traversé tant d’épreuves ensemble : la séparation avec son père, les fins de mois difficiles, les petits boulots pour payer le loyer. Mais nous étions soudées, presque comme deux sœurs. On nous le disait souvent dans la rue : « Vous êtes mère et fille ? On dirait des jumelles ! » Cela me faisait sourire, même si au fond, je sentais bien que les années passaient.
Naomi a grandi, elle a rencontré Thomas à la fac de droit. Un garçon bien sous tous rapports, poli, travailleur. Ils se sont mariés il y a deux ans. J’étais fière d’elle, fière d’eux. Mais depuis leur mariage, quelque chose s’est fissuré entre nous. Naomi venait moins souvent à la maison. Elle m’appelait vite fait entre deux réunions. Je sentais qu’elle s’éloignait, qu’elle construisait sa vie ailleurs.
Et moi ? Moi, je restais seule dans notre petit appartement. J’ai continué à travailler comme aide-soignante à l’hôpital de Saint-Antoine. Les nuits étaient longues, les patients nombreux. Mais le soir, en rentrant, il n’y avait plus que le silence et les souvenirs.
Un jour, au marché, j’ai croisé Jean-Pierre. Un ancien collègue du lycée. Il avait ce sourire un peu triste des hommes qui ont trop vécu. On a bu un café ensemble, puis un autre. Il m’a invitée au cinéma. J’ai ri comme une gamine devant une comédie française un peu nulle. J’ai senti mon cœur battre à nouveau.
C’est là que tout a dérapé.
Naomi est passée à l’improviste un dimanche matin. Elle m’a trouvée en train de préparer un gâteau avec Jean-Pierre dans la cuisine. Elle a blêmi.
— Maman… c’est qui ?
— Jean-Pierre… un ami.
— Un ami ? Tu fais des gâteaux avec tes amis maintenant ?
J’ai senti son regard accusateur. Elle n’a rien dit de plus ce jour-là, mais le soir même Thomas m’a appelée.
— Écoute Élodie, tu ne peux pas faire ça à Naomi. Elle compte sur toi. Tu es sa mère.
— Faire quoi ? Être heureuse ?
— Tu sais très bien ce que je veux dire. Tu es la grand-mère potentielle de nos enfants. On a besoin de toi ici, pas ailleurs.
J’ai raccroché en tremblant. Je me suis assise sur le canapé, les mains sur les genoux. Est-ce que je n’avais plus le droit d’être aimée ? D’avoir une vie à moi ? Toute ma vie, je me suis sacrifiée pour Naomi. J’ai refusé des sorties, des vacances, des amours pour qu’elle ne manque jamais de rien.
Le lendemain, au travail, j’étais ailleurs. Ma collègue Mireille m’a prise à part.
— Qu’est-ce qui t’arrive Élodie ? On dirait que tu portes tout le malheur du monde.
— Ma fille ne veut pas que je refasse ma vie…
— Ah ça… Les enfants sont égoïstes parfois. Mais tu as le droit d’être heureuse toi aussi.
Ses mots m’ont fait du bien. Mais le soir même, Naomi est revenue à la charge.
— Maman, tu penses vraiment à te remarier ? À ton âge ?
— Pourquoi pas ? J’ai encore des rêves tu sais…
— Et moi alors ? Tu vas me laisser tomber pour un homme que tu connais à peine ?
— Naomi… tu es adulte maintenant. Tu as Thomas. Tu as ta vie.
— Mais j’ai besoin de toi ! Qui va garder mes enfants quand j’en aurai ? Qui va m’aider si j’ai un problème ?
J’ai compris alors que pour elle, je n’étais plus qu’une présence rassurante, une sorte de nounou gratuite toujours disponible. Pas une femme avec des envies et des sentiments.
Les semaines ont passé. Jean-Pierre m’a demandé si je voulais emménager avec lui dans sa maison à Sceaux. J’ai hésité longtemps. La peur de perdre Naomi me rongeait.
Un soir d’hiver, alors que la neige tombait sur les toits de Paris, j’ai pris mon courage à deux mains et je suis allée voir Naomi et Thomas chez eux.
— J’ai quelque chose à vous dire…
— Quoi encore ? a soupiré Thomas.
— Je vais vivre avec Jean-Pierre.
Le silence a été glacial.
— Tu fais une erreur maman…
— Peut-être… Mais c’est ma vie maintenant.
Je suis partie sans me retourner. Dans la rue, la neige fondait sous mes pas mais je me sentais légère pour la première fois depuis des années.
Aujourd’hui encore, Naomi ne me parle presque plus. Elle m’en veut d’avoir choisi mon bonheur au lieu du sien. Mais moi… moi je revis.
Est-ce qu’on a vraiment le droit d’être heureuse après 50 ans ? Est-ce qu’une mère doit toujours s’oublier pour ses enfants ? Qu’en pensez-vous ?