Les mots murmurés entre Jérémie et Victoire : La trahison silencieuse

— Tu ne comprends pas, Jérémie, ce n’est pas ce que tu crois !

La voix de Victoire résonne encore dans ma tête, aiguë, tremblante, alors que je me tiens dans l’ombre du couloir, le cœur battant à tout rompre. Je serre la poignée de la porte du salon, hésitant à entrer, à confronter ce que je pressens depuis des semaines. La lumière tamisée éclaire à peine leurs silhouettes rapprochées. Ma belle-mère, assise dans son fauteuil préféré, observe la scène d’un œil satisfait, comme si tout cela n’était que la suite logique d’un plan longuement mûri.

Je m’appelle Camille. J’ai trente-deux ans et je croyais avoir trouvé en Jérémie l’homme avec qui vieillir. Nous nous sommes rencontrés à la fac de droit à Lyon, et très vite, notre complicité a éclipsé tous les doutes. Mais depuis quelques mois, quelque chose s’est fissuré. Les regards furtifs entre Jérémie et Victoire, les conversations qui s’interrompaient dès que j’entrais dans la pièce… J’ai voulu croire que c’était mon imagination. Après tout, Victoire était l’amie d’enfance de Jérémie, et ma belle-mère, Madame Lefèvre, ne cachait pas sa préférence pour elle.

— Tu sais très bien ce que je ressens pour toi, murmure Victoire.

Je retiens mon souffle. Mon monde vacille. Comment ai-je pu être aussi aveugle ?

Jérémie soupire, sa voix basse et lasse :
— Ce n’est pas le moment… Camille pourrait entendre.

Un frisson glacé me parcourt l’échine. Je recule d’un pas, mais le parquet grince. Le silence tombe dans le salon. Je n’ai plus le choix : je pousse la porte.

— Camille ! s’exclame Victoire en se levant précipitamment.

Jérémie détourne les yeux. Ma belle-mère esquisse un sourire pincé.

— Je vois que tu as surpris notre petite discussion, dit-elle d’un ton faussement léger.

Je sens les larmes monter mais je refuse de leur donner ce plaisir.

— Je ne suis pas idiote, maman. Je sais ce que tu essaies de faire depuis des années. Tu n’as jamais accepté mon mariage avec Camille.

Madame Lefèvre hausse les épaules :
— Je veux simplement ce qu’il y a de mieux pour toi, Jérémie. Victoire est une femme stable, issue d’une bonne famille…

Je serre les poings. Depuis le début, je n’ai jamais été assez bien pour elle. Fille d’infirmière et de facteur dans une petite ville de l’Ain, je n’avais ni le nom ni la fortune qu’elle espérait pour son fils unique.

Victoire s’approche de moi, les yeux brillants :
— Camille, je t’assure que je ne voulais pas te blesser…

— Tu as réussi pourtant, dis-je d’une voix blanche.

Jérémie se lève enfin et s’avance vers moi :
— Camille… Je suis désolé. Tout ça m’a dépassé. Je ne voulais pas te faire de mal.

Je le regarde, cherchant dans ses yeux un reste de l’homme que j’aimais. Mais je n’y vois que de la fatigue et du regret.

Les jours suivants sont un enfer silencieux. Jérémie tente de me parler mais je l’évite. Ma belle-mère multiplie les visites sous prétexte de « prendre soin » de son fils. Victoire continue de rôder autour de notre appartement lyonnais comme une ombre menaçante.

Un soir, alors que je rentre tard du travail, je trouve Jérémie assis dans le noir.

— On doit parler, dit-il simplement.

Je m’assois en face de lui. Il prend une longue inspiration :
— Je crois qu’on s’est perdus tous les deux. J’ai laissé maman et Victoire s’immiscer entre nous… Je ne sais plus où j’en suis.

La colère monte en moi :
— Tu aurais pu me défendre ! Tu aurais pu leur dire que c’est moi que tu as choisi !

Il baisse la tête :
— Je suis désolé…

Les semaines passent et la tension devient insupportable. Un dimanche matin, alors que je prépare un café dans la cuisine, ma belle-mère débarque sans prévenir.

— Camille, il faut qu’on parle toutes les deux.

Je me retourne, fatiguée d’avance.

— Vous avez gagné, Madame Lefèvre. Votre fils ne sait plus où il en est et votre protégée est toujours là à attendre qu’il craque.

Elle me fixe froidement :
— Tu n’as jamais compris notre famille. Ici, on protège les siens coûte que coûte.

Je ris jaune :
— Sauf quand il s’agit d’accepter quelqu’un qui vient d’ailleurs.

Elle s’approche et murmure :
— Tu devrais partir avant qu’il ne soit trop tard.

Ce soir-là, je fais ma valise. Jérémie tente de m’arrêter sur le pas de la porte.

— Camille… Je t’en supplie… Ne pars pas comme ça…

Je le regarde une dernière fois :
— Il fallait choisir plus tôt, Jérémie.

Je claque la porte derrière moi et descends les escaliers quatre à quatre. Dehors, il pleut à verse sur Lyon mais je me sens étrangement légère. J’appelle ma mère à Belley qui m’accueille à bras ouverts.

Les mois passent. Je reconstruis ma vie petit à petit. J’apprends à vivre sans Jérémie mais surtout sans cette famille qui ne m’a jamais acceptée. Parfois, je croise Victoire au marché ou j’aperçois Madame Lefèvre dans un café chic du centre-ville. Elles détournent les yeux mais moi je marche la tête haute.

Aujourd’hui encore, je me demande : pourquoi certaines familles préfèrent-elles détruire plutôt qu’accueillir ? Est-ce vraiment si difficile d’accepter l’amour quand il ne correspond pas à leurs attentes ? Peut-on vraiment se reconstruire après une telle trahison ? Qu’en pensez-vous ?