Le silence de mon petit-fils : Entre amour, attentes et incompréhension

« Julien, tu pourrais au moins envoyer un message à ta grand-mère ! » La voix de ma fille résonne dans le couloir, mais je sais déjà que la réponse ne viendra pas. Assise dans mon vieux fauteuil, une tasse de thé refroidissant entre mes mains tremblantes, je regarde la pile de lettres sur la table basse. Deux enveloppes roses, ouvertes avec soin, ornées de dessins maladroits et de mots doux : « Merci Mamie ! » signés Camille et Éva. Mais pour Julien, rien. Pas un mot. Pas un texto. Pas même un accusé de réception.

Je me souviens encore du jour où il est né. C’était un matin d’avril pluvieux, à l’hôpital de Nantes. J’avais attendu des heures dans la salle d’attente, le cœur battant la chamade. Quand j’ai enfin tenu Julien dans mes bras, j’ai cru que le monde s’arrêtait. Depuis ce jour, j’ai tout fait pour être une grand-mère présente : goûters improvisés, balades au parc, histoires racontées sous la couette… Mais aujourd’hui, il a vingt ans et il semble que je ne sois plus qu’une vieille femme parmi tant d’autres.

Chaque année, c’est le même rituel. Je choisis une jolie carte, j’y glisse un chèque – pas une fortune, mais assez pour qu’ils puissent s’offrir quelque chose qui leur fait plaisir – et j’écris quelques mots. Pour Camille et Éva, c’est la fête : elles m’appellent, m’envoient des photos de leurs achats ou viennent me voir avec un bouquet de fleurs cueillies dans le jardin. Mais Julien…

« Il est débordé avec ses études », me répète ma fille Anne. « Tu sais, la fac à Bordeaux, c’est du boulot… » Je veux bien le croire. Mais un simple « merci », est-ce trop demander ?

Un soir de décembre, alors que la pluie martèle les vitres et que la maison semble plus vide que jamais, je décide d’appeler Julien moi-même. Le téléphone sonne longtemps avant qu’il ne décroche.

— Allô ?
— Julien ? C’est Mamie…
— Ah… Salut Mamie. Ça va ?

Sa voix est lointaine, distraite. J’entends des rires en fond sonore.

— Je voulais juste savoir si tu avais bien reçu mon chèque pour Noël…
— Oui oui, merci beaucoup Mamie. Désolé, j’ai oublié de te répondre…

Un silence gênant s’installe.

— Tu sais, ça me ferait plaisir d’avoir de tes nouvelles de temps en temps.
— Je sais… Je suis désolé. J’ai beaucoup de boulot en ce moment.

Il raccroche vite, prétextant un rendez-vous avec des amis. Je reste là, le combiné à la main, le cœur serré. Est-ce moi qui suis trop exigeante ? Ou bien est-ce lui qui ne comprend pas l’importance de ces petits gestes ?

Les jours passent et l’amertume s’installe. Je commence à douter de moi-même. Peut-être que je ne suis plus à la hauteur. Peut-être que les jeunes n’ont plus besoin de leurs grands-parents. À la boulangerie du coin, je croise Madame Lefèvre qui me confie que ses petits-enfants ne viennent plus jamais la voir non plus. « C’est leur génération », soupire-t-elle.

Mais alors pourquoi Camille et Éva trouvent-elles toujours le temps ? Un dimanche après-midi, elles débarquent à l’improviste avec un gâteau au chocolat et des rires plein la bouche.

— Mamie ! On a acheté des rollers avec ton chèque ! Tu veux essayer ?

Je ris malgré moi et je sens mon cœur se réchauffer un peu. Mais dès qu’elles repartent, le vide revient.

Un soir d’hiver, alors que je trie de vieilles photos dans le grenier, je tombe sur un cliché de Julien enfant, assis sur mes genoux lors d’un Noël passé. Il me regarde avec des yeux pétillants de malice. Où est passé ce petit garçon ? Qu’ai-je raté ?

La semaine suivante, Anne passe me voir.

— Maman, tu sais… Julien n’est pas très démonstratif. Il t’aime beaucoup mais il ne sait pas comment le montrer.
— Mais pourquoi ses sœurs y arrivent-elles ?
— Elles sont différentes… Et puis tu sais, les garçons…

Je sens une colère sourde monter en moi.

— Ce n’est pas une question de garçon ou de fille ! C’est une question d’attention !

Anne baisse les yeux. Elle n’a pas de réponse.

Les fêtes approchent et je prépare les enveloppes comme chaque année. Mais cette fois-ci, j’hésite devant celle de Julien. Dois-je continuer ? Est-ce que cela a encore un sens ? Finalement, je glisse le chèque dans la carte mais j’ajoute quelques lignes :

« Mon cher Julien,
Je t’écris ces mots avec beaucoup d’amour mais aussi un peu de tristesse. J’aimerais tant avoir de tes nouvelles plus souvent. Un simple message me suffirait pour être heureuse.
Je t’embrasse fort,
Mamie »

Je poste la lettre en espérant une réaction différente cette fois-ci.

Quelques jours plus tard, mon téléphone vibre : un message de Julien.

« Merci Mamie pour ta lettre et ton cadeau. Je suis désolé si je t’ai blessée par mon silence. Je t’aime fort même si je ne le montre pas souvent. Promis, je vais essayer d’être plus présent. »

Je relis ce message plusieurs fois, les larmes aux yeux. Est-ce suffisant ? Est-ce sincère ? Ou bien est-ce juste pour me rassurer ?

Parfois je me demande : est-ce moi qui attends trop ? Ou bien est-ce notre monde qui change trop vite pour que les liens familiaux survivent ? Qu’en pensez-vous ?