Le mariage de ma sœur a brisé notre famille : le déménagement de Mamie a tout bouleversé

« Tu ne comprends rien, Camille ! » La voix de ma mère résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes, cherchant un peu de chaleur dans ce matin glacial de janvier. Dehors, la pluie martèle les vitres du pavillon à Montreuil, mais c’est à l’intérieur que la tempête fait rage.

Tout a commencé il y a six mois, le jour où Élodie, ma sœur aînée, s’est mariée avec Julien. La maison était pleine de rires, de bouquets de pivoines et d’espoir. Mais à peine les confettis balayés, tout a changé. Élodie est partie vivre à Lyon avec son mari, et j’ai eu l’impression qu’on m’arrachait une partie de moi-même. Je suis restée seule avec mes parents et Mamie Lucienne, qui venait d’emménager chez nous après la vente de son appartement à Saint-Maur.

Mamie n’a jamais vraiment accepté la vie moderne. Elle râle contre les portables, peste contre la télévision et soupire devant les plats surgelés. Mais ce n’est pas le pire. Depuis qu’elle est là, mes parents se disputent sans cesse. Papa ne supporte plus ses remarques sur la façon dont il gère l’argent ou sur ses horaires de travail à la mairie. Maman, elle, se sent prise au piège entre sa mère et son mari. Et moi ? Je me faufile dans les couloirs, invisible, essayant d’éviter les éclats de voix.

Un soir, alors que je rentre tard du lycée, j’entends Mamie pleurer dans sa chambre. Je frappe doucement à la porte.

— Mamie ?

Elle essuie ses larmes d’un revers de manche.

— Ce n’est rien, ma chérie. Je me sens juste… de trop ici.

Je m’assois près d’elle sur le lit défait. Son odeur de lavande me rappelle mon enfance, quand elle me gardait pendant les vacances et qu’on faisait des tartes aux pommes ensemble.

— Tu n’es pas de trop, Mamie. C’est juste… compliqué en ce moment.

Elle me prend la main.

— Tu sais, Camille, parfois il faut savoir partir pour laisser les autres respirer.

Ses mots me hantent toute la nuit. Partir ? Mais où irait-elle ? Et moi, ai-je le droit de rêver à une vie ailleurs ?

Les semaines passent et la tension monte. Un dimanche midi, alors que le poulet rôti fume encore sur la table, Papa explose :

— J’en ai marre ! On ne peut plus vivre comme ça !

Maman se lève brusquement, sa serviette tombe au sol.

— Si tu n’es pas content, tu n’avais qu’à refuser que Maman vienne ici !

Mamie baisse les yeux. Moi, je fixe mon assiette, incapable d’avaler quoi que ce soit. Je voudrais hurler : « Arrêtez ! » Mais aucun son ne sort.

Le soir même, j’envoie un message à Élodie :

« Tu me manques. Ici c’est l’enfer. »

Elle me répond quelques minutes plus tard :

« Viens passer un week-end à Lyon. Ça te changera les idées. »

Je saute sur l’occasion. Deux semaines plus tard, je prends le TGV pour la première fois seule. Dans le train, je regarde défiler les paysages gris et mouillés d’hiver. J’ai l’impression de fuir un champ de ruines.

Chez Élodie et Julien, tout semble simple. Ils rient ensemble en préparant des crêpes, ils écoutent de la musique en dansant dans le salon minuscule. Je leur envie cette légèreté. Le dimanche soir, au moment de repartir, Élodie me serre fort contre elle.

— Tu sais, Camille… Tu as le droit de penser à toi aussi.

Sur le quai de la gare Part-Dieu, je sens les larmes monter. Pourquoi ai-je toujours l’impression que mon bonheur doit passer après celui des autres ?

De retour à Montreuil, rien n’a changé. Les disputes reprennent de plus belle. Un soir, alors que je révise pour le bac dans ma chambre glaciale, j’entends Mamie et Maman se disputer dans le salon.

— Tu ne comprends pas ce que c’est d’être vieille et dépendante !

— Et toi, tu ne vois pas que tu nous étouffes tous !

Je claque mon cahier et descends les escaliers quatre à quatre.

— Arrêtez ! Vous ne voyez pas que vous êtes en train de tout casser ?

Elles se tournent vers moi, surprises par ma colère. Je fonds en larmes.

— Depuis qu’Élodie est partie… je me sens seule. J’ai l’impression que plus personne ne fait attention à moi.

Mamie s’approche et me serre dans ses bras. Maman aussi finit par nous rejoindre. Pour la première fois depuis des mois, on pleure ensemble.

Ce soir-là, on parle longtemps. Mamie avoue qu’elle regrette d’avoir vendu son appartement si vite. Maman reconnaît qu’elle aurait dû demander notre avis avant d’imposer ce choix à toute la famille. On décide d’appeler un conseiller familial pour nous aider à sortir la tête de l’eau.

Les semaines suivantes sont difficiles mais différentes. On apprend à se parler sans crier. Mamie commence à fréquenter le club des aînés du quartier ; elle y trouve des amies et s’absente plus souvent. Maman reprend le yoga pour souffler un peu. Moi, j’ose enfin parler de mon rêve : partir faire mes études à Bordeaux après le bac.

Papa me regarde avec fierté.

— Tu as raison, Camille. Il faut vivre pour soi aussi.

Aujourd’hui encore, rien n’est parfait. Mais on avance ensemble, pas à pas. Parfois je repense à cette période sombre et je me demande : combien de familles se déchirent ainsi en silence ? Est-ce qu’on peut vraiment aimer sans jamais se perdre soi-même ?