Le choix d’Arthur : Vacances en solitaire, famille en péril
« Tu pars vraiment tout seul ? » La voix de Camille résonne dans le couloir, tremblante, alors que je ferme ma valise. Les enfants dorment déjà, la lumière du salon filtre sous la porte. Je sens son regard brûlant dans mon dos.
Je me retourne, mal à l’aise. « Camille, c’est juste quelques jours… J’ai besoin de souffler. »
Elle serre les poings. « Et moi ? Tu crois que je n’en ai pas besoin, moi ? »
Je baisse les yeux. Depuis des années, on vit au rythme des factures impayées, des courses discount et des vacances annulées. Cette promotion, je l’ai attendue comme une délivrance. Mais au lieu d’un voyage en famille à la mer, j’ai réservé un gîte dans le Vercors. Seul.
Je me suis convaincu que je le méritais. Que j’avais besoin de silence, loin des cris des enfants, loin de la routine métro-boulot-dodo. Mais maintenant que je vois Camille, fatiguée, cernée, je doute.
Le lendemain matin, je pars avant l’aube. Sur l’autoroute, la radio diffuse les infos : grève à la SNCF, inflation galopante, familles qui peinent à joindre les deux bouts. Je coupe le son. Je veux oublier tout ça, juste quelques jours.
Le gîte est charmant, rustique. Le silence me frappe d’abord comme une bénédiction. Je dors dix heures d’affilée la première nuit. Je lis, je marche dans la forêt, je mange sans me presser. Mais très vite, le vide s’installe. Je regarde mon téléphone : aucun message de Camille.
Le troisième jour, je reçois un appel vidéo. Les enfants apparaissent à l’écran, les joues sales de chocolat. « Papa, quand tu rentres ? » demande Léo. Derrière lui, Camille a les yeux rouges.
« Bientôt, mon grand… »
La culpabilité me ronge. J’imagine Camille seule à gérer les crises de Juliette, les devoirs de Léo, les lessives qui s’accumulent. Je repense à nos disputes sur l’argent, sur le temps qui manque toujours.
Le soir même, je croise un couple au gîte voisin. Ils rient ensemble autour d’un barbecue improvisé avec leurs enfants. Je me sens ridicule avec mon plat surgelé et mon roman à moitié lu.
Le lendemain matin, je décide de rentrer plus tôt. Sur la route du retour, j’essaie de trouver les mots pour m’excuser. Je me demande comment j’ai pu croire qu’une pause en solo réparerait ce qui est brisé chez nous.
J’ouvre la porte de l’appartement. Camille est assise sur le canapé, Léo sur ses genoux. Elle ne dit rien. Je m’approche doucement.
« Je suis désolé… J’ai été égoïste. »
Elle me regarde longuement. « Tu sais ce qui aurait été un vrai luxe ? Qu’on parte tous ensemble. Même juste un week-end au camping municipal… »
Je hoche la tête, honteux.
Les jours suivants sont tendus. Les enfants sentent que quelque chose a changé. Je propose une sortie au parc ; Camille accepte à contrecœur.
Un soir, alors que les enfants dorment enfin, Camille éclate : « Tu ne comprends pas… Ce n’est pas le voyage qui fait mal, c’est ce que ça dit sur nous ! On n’est plus une équipe… »
Je reste sans voix. Elle a raison. J’ai fui au lieu d’affronter nos difficultés ensemble.
Petit à petit, on réapprend à se parler. On fait des projets modestes : pique-nique au bord du Rhône, visite gratuite d’un musée le premier dimanche du mois… Ce n’est pas la Côte d’Azur ni les Seychelles, mais c’est nous.
Aujourd’hui encore, je repense à cette semaine en solitaire comme à une fracture nécessaire. J’ai compris que le vrai luxe, ce n’est pas l’évasion individuelle mais la force du collectif familial.
Est-ce qu’on peut vraiment réparer ce qu’on a abîmé par égoïsme ? Et vous, avez-vous déjà fait un choix qui a mis votre famille en péril ?