La promesse qui m’a brisé : L’histoire de Paul et sa sœur
« Paul… promets-moi… promets-moi que tu ne laisseras jamais Claire seule. »
La voix de ma mère, faible, tremblante, résonne encore dans ma tête. Je serre sa main glacée, les larmes brouillant ma vue. « Je te le promets, maman. Je m’occuperai d’elle. Toujours. »
À ce moment-là, je n’imaginais pas que ces mots deviendraient la chaîne invisible qui allait me lier à une vie que je n’avais pas choisie.
Claire, ma petite sœur, est née avec une infirmité motrice cérébrale. Elle ne parle pas, ne marche pas sans aide. Mais son sourire, immense et lumineux, a toujours illuminé nos journées. Après la mort de maman, tout a changé. Papa était déjà parti depuis longtemps, emporté par un cancer fulgurant. Il ne restait que nous deux, et la grande maison familiale à Tours.
Les premiers mois, j’ai tenu bon. Je me levais chaque matin à six heures pour préparer le petit-déjeuner de Claire, l’aider à s’habiller, la laver. Je faisais tourner la maison comme une horloge bien huilée. Mais très vite, la fatigue s’est installée. Mes amis ont commencé à disparaître un à un. « Viens boire un verre ce soir ! » « Désolé, je ne peux pas laisser Claire seule… » Les invitations se sont faites plus rares. Je me suis retrouvé isolé.
Un soir d’hiver, alors que je tentais de faire manger Claire qui refusait d’avaler quoi que ce soit, mon frère aîné, François, a débarqué sans prévenir. Il a jeté un regard dédaigneux autour de lui.
— Tu comptes rester ici toute ta vie ?
— Je n’ai pas le choix, François. Tu sais ce que j’ai promis à maman.
Il a haussé les épaules.
— Tu pourrais placer Claire en institution. Tu as droit à ta vie aussi.
— Jamais ! Elle est ma sœur.
Il a souri tristement.
— Et la maison ? Tu comptes la garder pour toi tout seul ?
J’ai senti la colère monter. La maison… Ce vieux manoir familial que maman m’avait promis si je m’occupais de Claire. Mais à quel prix ?
Les mois ont passé. François a commencé à me harceler au téléphone : « Tu pourrais vendre la maison et partager l’argent ! » Ma tante Lucie m’a appelé pour me dire que je gâchais ma jeunesse. Même mon oncle Gérard a tenté de me convaincre d’abandonner Claire à des professionnels.
Mais comment expliquer ce lien ? Cette promesse ? Chaque soir, quand je bordais Claire dans son lit, elle me regardait avec ses grands yeux bleus et je sentais tout l’amour du monde passer entre nous. Pourtant, la solitude me rongeait. Les factures s’accumulaient. J’ai dû quitter mon travail pour m’occuper d’elle à plein temps. L’argent du RSA ne suffisait pas.
Un jour, alors que je changeais Claire, elle a eu une crise d’épilepsie. J’ai paniqué, j’ai appelé les pompiers en hurlant. À l’hôpital, le médecin m’a pris à part :
— Vous ne pouvez pas continuer comme ça, monsieur Dubois. Vous allez craquer.
Mais je n’ai rien lâché.
Les années ont filé. Mes cheveux ont blanchi prématurément. J’ai vu mes amis se marier, avoir des enfants… Moi, j’étais prisonnier d’une promesse faite dans un moment de faiblesse et d’amour mêlés.
Un matin de printemps, Claire s’est éteinte dans son sommeil. J’ai su tout de suite en entrant dans sa chambre : son visage était paisible, presque souriant. J’ai hurlé comme un animal blessé.
Le lendemain des obsèques, François est revenu à la charge :
— Maintenant que Claire est partie, on vend la maison ?
J’ai éclaté :
— Cette maison est tout ce qu’il me reste ! Tu n’as jamais rien compris !
Il a claqué la porte sans un mot.
Depuis, je vis seul dans cette grande bâtisse vide qui résonne des rires et des pleurs du passé. Parfois, j’entends encore la voix de maman dans les couloirs ou le rire étouffé de Claire dans le jardin.
J’ai sacrifié ma jeunesse, mes rêves et mon bonheur pour une promesse… Était-ce vraiment ce que maman voulait ? Est-ce qu’on peut demander à un enfant de porter un tel fardeau ?
Et vous… jusqu’où iriez-vous par amour pour votre famille ? La promesse valait-elle le prix payé ?