Juste avant le virement : le cri de ma fille m’a sauvée
« Maman, tu ne vois donc rien ?! » La voix de Mia résonne dans la petite cuisine, tranchante comme une lame. Je serre mon téléphone dans la main, le cœur battant. Il est 18h47, la lumière du soir s’étire sur les immeubles gris de Montreuil. J’ai passé la journée à comparer les annonces, à calculer, recalculer, à rêver d’un nouveau départ. Ce soir, je dois faire le virement pour réserver l’appartement. Une chambre, un salon minuscule, mais un balcon sur cour. Pour nous deux, c’est déjà un luxe.
Depuis que François est parti – non, depuis qu’il nous a laissées – tout est devenu une question de survie. Je me bats pour chaque euro, chaque sourire de Mia. Dix ans, déjà si mature, trop peut-être. Elle observe tout, comprend tout. Mais ce soir, elle explose.
« Tu ne trouves pas ça bizarre, maman ? Cette femme qui ne veut pas qu’on visite l’appartement ensemble ? Qui insiste pour qu’on fasse vite le virement parce qu’elle part à Lyon ? »
Je soupire. « Mia, je t’assure, j’ai vérifié. Elle m’a envoyé des photos, elle a même une copie du titre de propriété… »
Mia tape du pied. « Mais tu dis toujours qu’il ne faut jamais envoyer d’argent sans voir ! Même à la boulangerie tu vérifies la monnaie ! »
Je sens mes joues chauffer. Elle a raison. Mais j’ai tellement peur de rater cette occasion. Les loyers explosent, les agences me regardent de haut dès qu’elles voient mon dossier : mère célibataire, assistante maternelle à mi-temps. Je suis fatiguée de mendier un toit.
J’essaie de rassurer Mia : « C’est différent, chérie. Cette dame a l’air honnête. Elle m’a même dit qu’elle avait une fille de ton âge… »
Mia éclate en sanglots. « Et si c’était faux ? Et si on se retrouvait à la rue ? Tu penses à moi parfois ?! »
Son accusation me transperce. Bien sûr que je pense à elle ! Tout ce que je fais, c’est pour elle. Mais soudain, je doute. Je relis les messages de cette fameuse « Madame Lefèvre ». Pas de visite possible avant virement, urgence familiale, prix trop beau pour être vrai…
Je repense à la dernière fois où j’ai fait confiance trop vite : François et ses promesses d’éternité. J’ai cru à notre famille parfaite jusqu’au jour où il a claqué la porte pour une collègue plus jeune.
Je m’assois face à Mia. Elle tremble encore, les yeux rouges. Je prends sa main.
« Tu as raison, ma puce. On va attendre. On va vérifier encore. »
Elle me regarde, surprise. « Tu promets ? »
Je hoche la tête. « Je promets. On ne fera rien sans être sûres toutes les deux. »
Cette nuit-là, je dors mal. Je rêve d’appartements vides, de portes qui claquent, de comptes bancaires vides. Au petit matin, je reçois un message d’un autre parent d’élève : « Attention aux arnaques sur Leboncoin ! Une amie vient de perdre 3 000 euros… » Mon sang se glace.
Je fouille sur internet : forums, groupes Facebook de mamans solos… Le nom de Madame Lefèvre revient plusieurs fois, toujours associé à des histoires d’arnaques.
Je serre Mia dans mes bras en pleurant de soulagement et de honte mêlés.
Quelques jours plus tard, je croise Madame Lefèvre devant l’école – ou plutôt une femme qui lui ressemble étrangement sur la photo WhatsApp. Je la fixe longuement ; elle détourne les yeux et s’éloigne vite.
Le soir venu, je raconte tout à ma mère au téléphone.
« Tu sais Patricia, tu as bien fait d’écouter ta fille. Parfois on veut tellement protéger nos enfants qu’on oublie qu’ils peuvent aussi nous protéger… »
Je repense à tous ces moments où j’ai voulu être forte pour Mia alors que c’est elle qui m’a sauvée cette fois-ci.
Les semaines passent. On continue notre quête d’appartement – ensemble cette fois-ci. On rit des annonces absurdes (« chambre sans fenêtre mais très lumineuse ! »), on visite des studios minuscules où Mia s’amuse à imaginer comment on pourrait tout caser.
Un soir, alors qu’on rentre d’une visite décevante dans le 20ème arrondissement, Mia glisse sa main dans la mienne.
« Tu sais maman… Même si on reste ici encore longtemps, c’est pas grave. Tant qu’on est ensemble et qu’on fait attention l’une à l’autre… »
Je la serre fort contre moi.
Aujourd’hui encore, je repense à ce soir-là où j’ai failli tout perdre par peur du manque et par envie de bien faire. J’ai compris que la vraie sécurité ne se trouve pas dans les murs d’un appartement flambant neuf mais dans la confiance et l’écoute mutuelle.
Et vous ? Jusqu’où seriez-vous prêts à aller pour offrir une vie meilleure à vos enfants ? Avez-vous déjà ignoré un avertissement par peur ou par espoir ?