« Je ne laisserai pas ma fille sombrer : le combat d’une mère pour Matylda »
— Tu ne comprends pas, Solange, je n’en peux plus. Je vais partir.
La voix de François résonne dans la cuisine, froide comme la pluie qui tambourine contre les vitres. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes. Je savais que notre couple battait de l’aile depuis des mois, mais je n’imaginais pas entendre ces mots, pas ce matin-là, alors que Matylda dort à l’étage, épuisée par les cris de son bébé.
Matylda est notre unique enfant. Elle est arrivée tard, après des années d’attente et de traitements. Quand elle est née, j’ai juré de lui offrir tout ce que je n’avais pas eu. François et moi avons tout fait pour elle : écoles privées, vacances à la mer, soutien scolaire… Mais aujourd’hui, tout s’effondre. Mon mari veut partir, ma fille s’enfonce dans une tristesse qui me fait peur, et mon petit-fils pleure sans cesse.
Je monte à l’étage. Matylda est assise sur le lit, les yeux cernés, les cheveux en bataille. Le petit dort enfin dans son berceau Ikea. Je m’assois à côté d’elle.
— Maman… Je n’y arrive pas. Je suis nulle. Regarde-moi…
Sa voix se brise. Je prends sa main.
— Tu n’es pas nulle, ma chérie. Tu es fatiguée, c’est tout. Tu viens d’avoir un bébé, tu as le droit d’être épuisée.
Elle secoue la tête.
— Pierre ne m’aide pas. Il rentre tard du travail, il râle parce que la maison est en désordre… Il dit que je ne fais rien de mes journées. Mais je n’arrive même plus à me regarder dans la glace.
Je sens mon cœur se serrer. Matylda a toujours été belle, lumineuse. Aujourd’hui, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Je pense à François, à ses valises prêtes dans l’entrée. Je pense à Pierre, ce gendre que je n’ai jamais vraiment compris.
Le soir venu, François descend l’escalier avec sa valise.
— Je reviendrai chercher mes affaires demain.
Il ne me regarde même pas. La porte claque. J’ai envie de hurler mais je me retiens. Matylda ne doit rien savoir pour l’instant.
Les jours passent. Pierre s’absente de plus en plus. Matylda ne sort plus de la maison. Elle ne mange presque rien. Un matin, je la trouve en pleurs dans la salle de bain.
— Je veux disparaître, maman…
Je la serre contre moi aussi fort que je peux.
— Non, ma chérie. Tu vas t’en sortir. Je suis là.
Je prends rendez-vous chez le médecin de famille, le Dr Lefèvre. Il confirme ce que je craignais : dépression post-partum sévère.
— Il faut du repos, du soutien… Peut-être un traitement léger.
Je rentre chez nous avec une ordonnance et une boule dans la gorge. Comment en est-on arrivés là ? Où sont passés les rires dans cette maison ?
Un soir, Pierre rentre plus tôt que d’habitude. Il trouve Matylda assise dans le salon, le regard vide.
— Tu pourrais au moins faire un effort pour t’habiller correctement quand je rentre…
Je me lève d’un bond.
— Pierre, ça suffit ! Tu ne vois pas qu’elle va mal ? Tu pourrais l’aider au lieu de la rabaisser !
Il me lance un regard noir.
— Ce n’est pas à toi de me dire comment gérer ma femme.
Je sens la colère monter en moi.
— Justement, si tu ne veux pas t’en occuper, alors pars ! Je m’occuperai de Matylda et du petit !
Il claque la porte sans un mot de plus.
Cette nuit-là, je veille sur Matylda et mon petit-fils. Je repense à ma propre mère qui m’a élevée seule après le départ de mon père. Je comprends enfin sa force et sa solitude.
Les semaines passent. François ne donne plus de nouvelles. Pierre finit par envoyer un message : « Je préfère qu’on fasse une pause. » Matylda s’effondre encore une fois mais je suis là pour elle.
Petit à petit, je prends tout en main : les couches, les biberons, les lessives… Je force Matylda à sortir marcher avec moi dans le parc Montsouris. Au début elle traîne les pieds puis un jour elle sourit timidement en voyant les canards sur le lac.
Un matin de printemps, elle me dit :
— Maman… Merci d’être là. Je crois que ça va un peu mieux aujourd’hui.
Je retiens mes larmes.
— Tu vas y arriver, ma chérie. Et tu redeviendras la belle femme que tu as toujours été.
Elle me regarde avec espoir.
— Même si Pierre ne revient pas ?
Je lui caresse les cheveux.
— Même s’il ne revient pas. Tu as toute une vie devant toi et ton fils a besoin de toi heureuse.
Aujourd’hui encore, je repense à tout ce que nous avons traversé. J’ai perdu mon mari mais j’ai retrouvé ma fille. J’ai compris que parfois il faut tout perdre pour sauver ceux qu’on aime.
Est-ce que j’ai eu raison de tout sacrifier pour Matylda ? Et vous… jusqu’où iriez-vous pour vos enfants ?