J’ai vendu mon appartement pour mon fils : le prix du sacrifice
« Tu ne comprends jamais rien, maman ! » La voix de Paul résonne encore dans le couloir étroit de la maison. Je serre la rampe de l’escalier, le cœur battant. Il est vingt-deux heures, la lumière du salon filtre sous la porte. Je viens d’entendre Paul et Camille se disputer à propos de moi. Je me sens de trop, étrangère dans ce foyer que j’ai pourtant aidé à bâtir.
Il y a six mois, j’ai vendu mon appartement à Boulogne-Billancourt. Un deux-pièces lumineux, mon cocon depuis le décès de mon mari, Henri. Paul m’a appelée un soir : « Maman, on n’y arrive plus avec les enfants, la crèche coûte une fortune, Camille doit reprendre le travail… » J’ai senti sa voix trembler. J’ai pensé à mes petits-enfants, Lucie et Arthur, que je ne voyais qu’une fois par mois. J’ai dit oui sans réfléchir : « Je peux vendre l’appartement. On achète une maison ensemble, tu sais ? »
La promesse d’une vie de famille retrouvée m’a portée pendant des semaines. J’imaginais les rires des enfants, les repas partagés, la chaleur humaine qui me manquait tant. J’ai signé chez le notaire avec une boule au ventre, mais aussi une fierté immense : j’offrais à mon fils ce que je n’avais jamais eu moi-même — une vraie maison, un jardin, un avenir.
Au début, tout semblait parfait. Camille m’a accueillie avec un sourire un peu crispé mais sincère. Les enfants se sont jetés dans mes bras. J’ai cuisiné des gratins comme autrefois, raconté des histoires le soir. Mais très vite, les petites tensions ont surgi. Camille voulait que je respecte leurs règles : pas de sucre après 17h, pas de télé avant le dîner. Paul me demandait d’être « discrète » quand ils recevaient des amis. Je me suis effacée, j’ai avalé mes remarques.
Un soir, Lucie est venue pleurer dans ma chambre : « Maman m’a grondée parce que j’ai mangé ton gâteau… » J’ai voulu consoler ma petite-fille, mais Camille est entrée brusquement : « Delphine, tu ne peux pas toujours prendre leur parti ! » J’ai senti la distance grandir entre nous.
Les semaines ont passé. Je me suis retrouvée à marcher seule dans le jardin, à éviter le salon quand Paul et Camille étaient là. Un matin, j’ai surpris une conversation à voix basse :
— Elle est gentille ta mère, mais elle est partout…
— Je sais, mais elle a tout vendu pour nous aider…
— Oui mais on n’a plus d’intimité !
J’ai eu envie de hurler. De leur rappeler que sans moi, ils n’auraient jamais pu acheter cette maison à Sceaux. Mais je me suis tue. J’ai commencé à regretter mon appartement, mes habitudes, ma liberté.
Un dimanche midi, tout a explosé. Arthur a renversé son verre sur la nappe. Camille s’est énervée : « Tu ne fais jamais attention ! » J’ai voulu intervenir : « Il est petit, laisse-le… » Paul a claqué sa fourchette : « Maman, arrête de t’en mêler ! » Le silence est tombé comme une chape de plomb.
Après le repas, je suis montée dans ma chambre. J’ai pleuré longtemps. Je me suis sentie trahie par ceux que j’aimais le plus au monde. Le soir même, j’ai cherché sur Internet des annonces de studios à louer. Mais avec ma retraite et ce qu’il me restait de la vente… c’était impossible.
Les jours suivants, Camille m’a évitée. Paul rentrait tard du travail. Les enfants venaient moins souvent me voir. Je me suis sentie invisible dans cette maison qui devait être la mienne aussi.
Un soir d’automne, alors que la pluie battait contre les vitres, Paul est venu s’asseoir sur mon lit.
— Maman… je suis désolé pour tout ça.
— Ce n’est pas grave…
— Si, ça l’est. On n’arrive plus à vivre ensemble comme avant.
J’ai baissé les yeux. Il a pris ma main.
— Tu as fait beaucoup pour nous… Peut-être qu’on devrait réfléchir à une autre solution ?
J’ai hoché la tête en silence. J’avais tout perdu : mon appartement, mon indépendance… et peut-être même la complicité avec mon fils.
Aujourd’hui encore, je me demande : ai-je eu tort de tout sacrifier pour eux ? L’amour d’une mère doit-il aller jusqu’à l’effacement de soi ? Et vous… jusqu’où iriez-vous pour vos enfants ?