J’ai rejeté ma belle-fille – puis j’ai compris que ce n’était pas elle le vrai problème
« Tu ne comprends pas, maman, c’est Camille que j’aime ! »
La voix de Paul résonne encore dans ma tête, pleine de colère et de détresse. Ce soir-là, dans notre salon à Lyon, la pluie battait contre les vitres et mon cœur battait tout aussi fort dans ma poitrine. J’avais croisé les bras, le regard dur, face à mon fils unique et à cette jeune femme aux yeux clairs, Camille, qu’il venait de m’annoncer comme sa fiancée.
Je n’ai pas pu m’empêcher de la dévisager. Elle portait un jean simple, un pull trop large, et ses cheveux étaient attachés à la va-vite. Rien à voir avec l’image que je m’étais faite de la future épouse de Paul. Je rêvais d’une fille raffinée, issue d’une bonne famille lyonnaise, quelqu’un qui saurait perpétuer nos traditions. Mais Camille… elle venait d’un petit village de l’Ardèche, ses parents tenaient une petite boulangerie et elle-même était éducatrice spécialisée. « Pas assez bien pour mon fils », ai-je pensé, honteusement.
Ce soir-là, j’ai été froide, polie mais distante. J’ai posé des questions sur sa famille, sur son travail, mais chaque réponse me semblait une preuve supplémentaire qu’elle n’était pas à la hauteur. Paul a senti ma désapprobation. Après leur départ, il m’a lancé : « Pourquoi tu ne peux pas juste être heureuse pour moi ? »
Les mois ont passé. Paul s’est éloigné. Il venait moins souvent dîner le dimanche. Quand il venait, il était tendu, sur la défensive. Je voyais bien que quelque chose se brisait entre nous, mais je refusais d’admettre que c’était à cause de mon attitude envers Camille.
Un soir d’hiver, alors que je rentrais des courses, j’ai croisé Camille devant notre immeuble. Elle attendait Paul sous la pluie, trempée jusqu’aux os. J’ai hésité puis je lui ai proposé de monter s’abriter. Elle a accepté timidement. Dans la cuisine, en préparant du thé, elle m’a regardée droit dans les yeux :
— Madame Martin, je sais que vous ne m’aimez pas beaucoup…
J’ai rougi, prise au dépourvu.
— Ce n’est pas ça…
— Si, je le sens. Mais je vous aime bien, moi. Et j’aime Paul plus que tout. Je ne veux pas vous voler votre fils.
Sa voix tremblait mais elle tenait bon. J’ai senti une boule dans ma gorge. Pour la première fois, j’ai vu la sincérité dans ses yeux.
Quelques semaines plus tard, Paul et Camille se sont installés ensemble. Je n’ai pas été invitée à la crémaillère. J’ai pleuré toute la nuit. Mon mari Jacques m’a dit : « Tu vas finir par perdre ton fils si tu continues comme ça. »
Je me suis entêtée encore quelques mois. Puis un jour, Paul m’a appelée en larmes : Camille avait fait une fausse couche. Il avait besoin de moi. J’ai accouru chez eux sans réfléchir.
Quand j’ai vu Camille effondrée sur le canapé, j’ai ressenti une douleur immense — pas seulement pour elle, mais aussi pour tout ce que j’avais refusé de voir : son courage, sa douceur, son amour pour mon fils.
Je me suis assise à côté d’elle et j’ai pris sa main. Elle a pleuré dans mes bras comme une enfant. Ce jour-là, quelque chose s’est fissuré en moi : ma carapace de mère possessive et orgueilleuse.
Après cet événement tragique, j’ai essayé de changer. J’ai invité Camille à déjeuner seule avec moi. Nous avons parlé de tout et de rien : de ses rêves d’ouvrir un centre pour enfants autistes, de ses souvenirs d’enfance à Vallon-Pont-d’Arc, de ses peurs aussi.
Petit à petit, j’ai appris à l’aimer — ou du moins à la respecter profondément.
Mais le mal était fait : Paul gardait ses distances. Un jour il m’a dit : « Tu sais maman… ce n’est pas Camille le problème. C’est toi qui refuses de me voir heureux autrement qu’à ta façon. »
Ses mots m’ont transpercée comme un couteau.
Aujourd’hui encore, je me demande si je pourrai réparer tout ce que j’ai brisé par orgueil et par peur de perdre mon fils.
Je regarde Camille et Paul qui avancent ensemble malgré les épreuves et je me demande : pourquoi avons-nous tant de mal à accepter ceux qui ne nous ressemblent pas ? Est-ce vraiment l’amour maternel… ou juste la peur d’être oubliée ?