J’ai mis mon fils et ma belle-fille à la porte : Mère indigne ou enfin libérée ?

« Tu ne peux pas nous faire ça, maman ! » La voix de Julien résonne encore dans le couloir, brisée par la colère et la peur. Je serre les clés dans ma main, mes doigts tremblent. Camille, sa femme, me regarde avec des yeux rougis, tenant leur valise comme un bouclier dérisoire. Il est vingt-deux heures, un mardi de novembre, et je viens de mettre mon propre fils et sa femme à la porte.

Trois ans plus tôt, ils sont arrivés chez moi à Lyon, un soir d’été, le visage fatigué mais plein d’espoir. « Juste quelques semaines, maman », avait promis Julien. Ils avaient perdu leur appartement après la faillite de la petite librairie où travaillait Camille. J’ai dit oui sans hésiter. J’étais veuve depuis peu, la maison me semblait trop grande et silencieuse. Je me suis dit que ce serait l’occasion de retrouver mon fils, de connaître enfin cette belle-fille discrète.

Mais les semaines sont devenues des mois. Puis des années. Au début, tout allait bien. On dînait ensemble, on riait devant les vieux films de Louis de Funès. Mais très vite, les tensions ont surgi. Julien passait ses journées à chercher du travail sur Internet, mais rien ne semblait jamais convenir. Camille enchaînait les petits boulots précaires : serveuse dans un café du Vieux Lyon, caissière à Monoprix…

Je payais tout : le loyer, les courses, même leurs factures de téléphone. Je me disais que c’était normal, qu’une mère doit aider ses enfants. Mais au fond de moi, je sentais la colère monter. Je voyais mes économies fondre comme neige au soleil. Je n’osais rien dire. À chaque remarque, Julien se braquait : « Tu veux qu’on parte ? Très bien, on partira ! » Mais ils restaient.

Les disputes sont devenues quotidiennes. Un soir, alors que je rentrais du travail à l’hôpital, j’ai trouvé la cuisine dans un état lamentable. J’ai explosé :
— Vous pourriez au moins faire la vaisselle !
Julien a haussé les épaules :
— On n’est pas tes domestiques.
J’ai claqué la porte de ma chambre en pleurant.

Camille essayait parfois d’arranger les choses :
— Je sais qu’on abuse un peu… Mais on n’a vraiment nulle part où aller.
Je lui répondais en silence, le cœur serré.

Les voisins commençaient à parler. Ma sœur Sophie m’a appelée un dimanche matin :
— Tu ne peux pas continuer comme ça, Anne. Tu t’épuises pour eux et ils ne font aucun effort.
Je me suis sentie jugée, incomprise. Mais elle avait raison.

Le déclic est venu un soir d’octobre. J’ai surpris Julien en train de fouiller dans mon portefeuille.
— Tu fais quoi ?
Il a sursauté :
— Je voulais juste te prendre vingt euros pour le plein…
J’ai vu rouge. Ce n’était plus possible.

J’ai attendu encore quelques semaines. J’espérais qu’ils comprendraient d’eux-mêmes. Mais rien ne changeait. Alors ce mardi soir-là, j’ai pris mon courage à deux mains.
— Il faut que vous partiez. Ce n’est plus possible.
Julien a ri jaune :
— Tu nous mets dehors ?
— Oui.
Camille a éclaté en sanglots. Julien a crié, m’a traitée d’égoïste, d’ingrate. J’ai tenu bon. J’ai repris leurs clés.

La porte s’est refermée sur eux et sur une partie de ma vie.

Depuis ce soir-là, le silence est revenu dans la maison. Il est lourd, pesant. Je me demande chaque jour si j’ai fait le bon choix. Je dors mal. Je repense à Julien enfant, à ses rires dans le jardin, à ses bras autour de mon cou quand il avait peur du noir.

Parfois je croise Camille au marché Saint-Antoine ; elle baisse les yeux et accélère le pas. J’ai appris par une amie qu’ils dorment chez des amis à Villeurbanne en attendant mieux.

Ma sœur me dit que j’ai bien fait :
— Tu leur as donné une chance de grandir.
Mais moi… Je me sens vide. Coupable.

Suis-je une mauvaise mère ? Ou bien ai-je enfin eu le courage de leur offrir la liberté dont ils avaient besoin ?

Et vous… Qu’auriez-vous fait à ma place ? Est-ce qu’aimer ses enfants, c’est toujours tout accepter ?