Héritage ou amour filial ? Le doute qui ronge mon cœur de mère
— Maman, tu as bien pris tes médicaments ce matin ?
La voix de mon fils, Guillaume, résonne dans le combiné. Il n’a jamais été du genre à s’inquiéter pour moi. Avant, il appelait une fois par mois, parfois moins. Depuis quelques semaines, c’est tous les jours. Sa sœur, Camille, fait pareil. Elle m’envoie des textos, des photos de ses enfants, me demande si je veux venir dîner dimanche. Je devrais être heureuse, non ? Mais au fond de moi, un malaise grandit.
Je m’appelle Françoise. J’ai 72 ans et je vis seule dans notre maison familiale à Tours depuis que mon mari, Jean-Pierre, est parti il y a six ans. Mes enfants ont fait leur vie à Paris. Je me suis habituée à leur absence, à la solitude des longues soirées d’hiver. Mais depuis que j’ai eu ce petit malaise au marché — rien de grave, juste une chute sans conséquence — tout a changé.
— Tu sais, maman, si tu as besoin d’aide pour tes papiers ou la maison, je peux venir ce week-end, insiste Guillaume.
Je sens son empressement. Il n’a jamais proposé ça avant. Camille aussi se montre pressante :
— Tu as pensé à refaire ton testament ? Tu sais, c’est important d’anticiper…
Le mot est lâché. Testament. Héritage. Je me raidis. Est-ce pour ça qu’ils sont soudain si présents ? Je me souviens de ma propre mère, morte seule dans sa maison de campagne, et de la guerre froide qui avait éclaté entre mes frères et sœurs pour quelques hectares de vigne. J’avais juré que mes enfants ne se déchireraient jamais pour de l’argent.
Mais aujourd’hui, je doute. Je doute de leur sincérité, de leur amour. Je me repasse nos souvenirs : Guillaume petit garçon qui pleure dans mes bras après une mauvaise note ; Camille qui me serre la main le jour de son mariage. Où est passée cette tendresse ?
Un soir, je décide d’en parler à mon amie Monique. Elle me connaît depuis quarante ans.
— Tu te fais des idées, Françoise. Ils t’aiment, c’est tout.
Mais je vois bien son regard fuyant. Elle aussi a connu ça avec ses propres enfants.
Les jours passent. Les appels continuent. Parfois, je laisse sonner sans répondre. Je veux voir jusqu’où ira leur inquiétude. Un matin, Guillaume débarque sans prévenir.
— Maman, tu ne réponds plus au téléphone… Tu vas bien ?
Il fouille la cuisine du regard, vérifie les dates sur les boîtes de médicaments.
— Tu sais que la maison commence à être grande pour toi toute seule… Tu pourrais penser à vendre et prendre un appartement plus près de nous.
Je sens la colère monter.
— Et pourquoi pas tout vendre tant qu’on y est ? Tu veux déjà partager l’héritage ?
Il recule, blessé.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire…
Mais le mal est fait. Le silence s’installe entre nous.
Le soir même, Camille m’appelle en pleurs.
— Guillaume m’a dit que tu étais fâchée… On voulait juste t’aider…
Je ne sais plus quoi penser. Suis-je devenue paranoïaque ? Ou bien ai-je raison de me méfier ? Je repense à toutes ces histoires de familles déchirées par l’argent. Je me sens coupable d’avoir douté d’eux, mais aussi trahie par leur empressement à parler d’héritage.
Les semaines passent. Je décide d’inviter mes enfants à dîner un dimanche midi. Je prépare le pot-au-feu préféré de Jean-Pierre. À table, l’ambiance est tendue.
— J’ai réfléchi à ce que vous m’avez dit, je commence d’une voix tremblante. Je comprends que vous vous inquiétiez pour moi… Mais j’ai besoin de savoir : est-ce vraiment moi qui vous intéresse ou ce que je possède ?
Guillaume baisse les yeux. Camille se met à pleurer.
— Maman… On a eu peur de te perdre après ta chute… On s’est rendu compte qu’on ne passait pas assez de temps avec toi…
Je voudrais les croire. Mais une part de moi reste sur ses gardes.
Après leur départ, je reste seule dans la cuisine en désordre. Je regarde les photos accrochées au mur : nos vacances en Bretagne, les anniversaires d’enfants… Où est passée cette époque où l’amour ne se mesurait pas en euros ?
Je me demande : comment savoir si l’amour de ses enfants est sincère ou intéressé ? Est-ce moi qui ai changé ou eux ? Et vous, que feriez-vous à ma place ?