Entre l’amour d’une mère et la peur de perdre son fils : le dilemme de Claire

« Paul, tu es sûr que tout va bien ? » Ma voix tremble à peine, mais je sens déjà le mur se dresser dans ses yeux fatigués. Il détourne le regard, s’enfonce dans son manteau comme pour se protéger. Nous sommes dans la cuisine, un dimanche matin, la lumière grise de Lyon filtre à peine à travers les rideaux. Camille est partie faire un footing, comme chaque fois qu’elle veut éviter la famille.

Je me retiens de poser la question qui me brûle les lèvres : pourquoi reste-t-il avec elle ? Depuis deux ans, je vois mon fils changer. Lui, si rieur, si tendre, n’est plus que l’ombre de lui-même. Camille, avec ses sourires glacés et ses remarques acérées, a pris possession de son cœur et de sa vie. Je l’ai vue rabaisser Paul devant nous tous à Noël dernier :

— « Tu pourrais au moins essayer de réussir quelque chose pour une fois », avait-elle lancé devant toute la famille alors qu’il avait raté la cuisson du chapon.

J’avais senti la honte et la tristesse envahir mon fils. J’avais voulu intervenir, mais Paul m’avait suppliée du regard de me taire. Depuis ce jour-là, je n’ose plus rien dire. Je me contente d’observer, impuissante.

Hier soir encore, j’ai entendu Camille hausser le ton dans le salon :

— « Tu ne comprends jamais rien ! Tu es vraiment incapable ! »

Et Paul, silencieux, encaissait. Je me suis réfugiée dans ma chambre, les poings serrés sur les draps. Comment une mère peut-elle supporter ça ?

Mon mari, Jean-Pierre, me répète sans cesse :

— « Laisse-les régler leurs histoires. Paul est adulte. »

Mais il ne voit pas ce que je vois. Il ne sent pas cette détresse qui ronge mon fils. Il ne remarque pas les cernes sous ses yeux, ni la façon dont il évite désormais nos invitations.

Un soir, j’ai tenté d’en parler à ma fille, Sophie :

— « Tu trouves pas que Camille est dure avec ton frère ? »
— « Maman, tu te fais des idées… Ils ont leur façon de fonctionner. »

Personne ne veut voir ce que je vois. Ou alors tout le monde préfère fermer les yeux.

Je me souviens du Paul d’avant Camille : il venait dîner à la maison chaque semaine, riait aux éclats avec son père en regardant les matchs de l’OL, m’appelait pour me demander des conseils de cuisine. Aujourd’hui, il répond à peine à mes messages. Quand il vient, il regarde sans cesse son téléphone, comme s’il craignait une remarque de Camille.

Un jour, j’ai surpris une conversation entre eux :

— « Ta mère m’étouffe avec ses questions ! Tu pourrais lui dire de nous laisser tranquilles ? »
— « Je… Je vais lui parler… »

J’ai senti mon cœur se briser. Suis-je devenue un fardeau pour mon propre fils ?

La semaine dernière, j’ai pris mon courage à deux mains. J’ai invité Paul à déjeuner au Parc de la Tête d’Or. Il a accepté, mais est arrivé en retard, l’air soucieux.

— « Paul… Je t’aime plus que tout au monde. Mais je te sens malheureux… »
Il a baissé la tête.
— « Maman… Je t’en prie… Ne commence pas… »
— « Tu sais que tu peux tout me dire… »
Il a serré les dents.
— « Camille est fatiguée en ce moment… Elle a beaucoup de pression au travail… »
Je n’ai pas insisté. J’ai vu la peur dans ses yeux : peur que je mette des mots sur ce qu’il n’ose pas nommer.

Depuis ce jour-là, il s’est éloigné encore un peu plus. Je me demande si j’ai fait une erreur en abordant le sujet. Peut-être que je vais le perdre pour toujours si je continue.

Mais comment rester silencieuse ? Comment regarder mon enfant se détruire sans rien faire ? Chaque nuit, je tourne en rond dans mon lit, cherchant une solution. Parfois, j’imagine aller voir Camille et lui dire ses quatre vérités. Mais je sais que ce serait signer la fin de ma relation avec Paul.

Hier soir, j’ai reçu un message de lui : « On ne viendra pas dimanche finalement. Camille n’est pas bien. » J’ai pleuré toute la nuit.

Aujourd’hui encore, je me demande : dois-je continuer à me taire pour garder mon fils près de moi ? Ou dois-je risquer de tout perdre pour essayer de le sauver ?

Est-ce cela être mère ? Se sacrifier jusqu’à disparaître ? Ou bien faut-il parfois avoir le courage d’affronter la tempête au risque d’être rejetée ?

Et vous… Que feriez-vous à ma place ?