Entre Deux Pères : Le Choix d’un Cœur Déchiré
« Tu as réfléchi à qui t’accompagnera à l’église ? » La voix de ma mère résonne dans la cuisine, tranchante comme une lame. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes. Les murs de notre appartement à Lyon semblent se rapprocher, étouffant ma respiration. Je n’ose pas croiser son regard.
« Je… Je ne sais pas encore, maman. »
Elle soupire, lasse. « Tu sais que ton père biologique tient à ce moment. Mais Patrick… il t’a élevée comme sa propre fille. »
Le silence s’installe, lourd, presque insupportable. Les souvenirs affluent : les bras de Patrick autour de moi après mes cauchemars d’enfant, ses encouragements lors de mes examens, sa fierté silencieuse le jour où j’ai décroché mon premier stage. Mais il y a aussi la voix grave de mon père biologique, Laurent, qui me téléphonait chaque Noël, chaque anniversaire, même s’il vivait à Bordeaux depuis le divorce.
Je me lève brusquement. « Je vais prendre l’air. »
Dehors, la pluie fine s’abat sur les pavés du Vieux Lyon. Je marche sans but, le cœur en vrac. Comment choisir ? Comment ne pas blesser l’un ou l’autre ?
Le soir même, j’appelle Camille, ma meilleure amie.
« Élodie, tu ne peux pas porter tout ça seule. Tu as le droit de penser à toi pour une fois ! »
« Mais si je choisis Patrick, Laurent va croire que je l’efface de ma vie… Et si je choisis Laurent, c’est Patrick qui sera brisé. »
Camille soupire. « Tu n’as pas à réparer les erreurs des adultes. Demande-toi juste : qui a été là pour toi ? Qui t’a aimée sans condition ? »
Je raccroche, bouleversée. La nuit est longue. Je repense à ce jour où Laurent est parti. J’avais huit ans. Il m’a embrassée sur le front, m’a promis qu’il reviendrait souvent. Mais il n’est jamais vraiment revenu. Il y avait toujours une excuse : le travail, la distance…
Patrick est arrivé dans nos vies comme un rayon de soleil. Il n’a jamais cherché à remplacer Laurent ; il m’a simplement aimée telle que j’étais. Il m’a appris à faire du vélo, m’a consolée lors de mes premières peines de cœur.
Mais Laurent reste mon père. Son sang coule dans mes veines. Quand il a appris mon mariage, il a pleuré au téléphone : « J’ai tellement rêvé de ce jour… »
Le lendemain, je décide d’affronter la vérité. J’invite Patrick à déjeuner.
Il arrive avec un bouquet de pivoines – mes fleurs préférées.
« Tu as l’air soucieuse, ma grande », dit-il doucement.
Je prends une grande inspiration. « Patrick… J’ai besoin de te parler du mariage. »
Il pose sa main sur la mienne. « Tu veux savoir si je t’en voudrais si tu demandais à Laurent de t’accompagner ? »
Je baisse les yeux, honteuse.
Il sourit tristement. « Élodie, tu es ma fille dans mon cœur. Mais je sais ce que représente ce moment pour un père… Je ne veux pas te mettre la pression. »
Les larmes me montent aux yeux.
« J’aurais aimé pouvoir vous avoir tous les deux », murmuré-je.
Patrick serre ma main plus fort. « Alors fais-le ! Pourquoi choisir ? Si tu veux que l’on marche tous les deux avec toi, je serai honoré. »
Un poids immense se soulève de ma poitrine.
Mais la réalité me rattrape vite : Laurent n’acceptera jamais de partager ce moment.
Je le rencontre dans un café près de la gare Part-Dieu.
« Tu veux que je partage ce moment avec lui ? » Sa voix tremble d’émotion et de colère contenue.
« Papa… Patrick a été là quand tu ne pouvais pas… Je ne veux blesser personne… »
Il détourne les yeux vers la vitre ruisselante. « Je comprends que tu l’aimes. Mais c’est moi ton père… »
Un silence glacial s’installe.
« Je t’aime aussi », dis-je d’une voix brisée.
Il se lève brusquement. « Fais comme tu veux, Élodie. Mais sache que ça me fait mal. »
Je rentre chez moi anéantie.
Les jours passent, les préparatifs avancent, mais mon cœur reste en suspens.
La veille du mariage, je trouve une lettre sous ma porte :
« Ma chère Élodie,
Je ne serai pas là demain. Je t’aime trop pour te voler ce moment de bonheur ou te forcer à choisir entre deux hommes qui t’aiment chacun à leur façon. Sois heureuse, c’est tout ce qui compte pour moi.
Papa »
Je m’effondre en larmes.
Le lendemain matin, alors que je me prépare dans la chambre d’amis chez maman, Patrick frappe doucement à la porte.
« Prête ? »
Je hoche la tête en silence.
Au bras de Patrick, j’avance dans l’allée centrale de l’église Saint-Nizier sous les regards émus des invités. Mais au fond de moi, une part de moi pleure l’absence de Laurent.
Après la cérémonie, alors que tout le monde danse et rit autour du buffet, je m’isole un instant sur la terrasse.
Camille me rejoint et me serre dans ses bras.
« Tu as fait ce que tu pouvais », murmure-t-elle.
Je regarde les étoiles qui commencent à percer le ciel lyonnais et me demande : Peut-on vraiment réparer les blessures du passé ? Est-ce qu’on peut aimer deux pères sans trahir l’un ou l’autre ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?