Entre Deux Mondes : Ma Belle-Sœur, Mon Énigme
« Tu pourrais au moins faire un effort, Camille. » La voix de maman résonne dans la cuisine, tranchante comme un couteau sur une planche à découper. Je serre la poignée de ma valise, le sel de l’air marin me picote déjà les narines à travers la fenêtre entrouverte. Je suis revenue à Saint-Gilles-Croix-de-Vie pour l’été, mais rien n’est pareil depuis que papa a épousé Hélène et que Chloé, sa fille, partage désormais la maison de vacances.
Chloé. Quinze ans, deux de moins que moi, mais déjà une assurance qui me déstabilise. Elle ne mâche pas ses mots, ne fait aucun effort pour arrondir les angles. « Si tu veux rester dans ta chambre toute la journée, c’est ton problème », m’a-t-elle lancé hier soir en haussant les épaules, alors que je tentais de m’isoler avec mon livre préféré. J’ai senti mes joues chauffer, la honte et la colère se mêler dans ma gorge.
Papa essaie de faire bonne figure. Il propose des sorties à la plage, des parties de pêche comme avant. Mais tout est différent. Hélène prépare des plats que je n’aime pas, Chloé occupe la salle de bain pendant des heures, et je me sens étrangère dans cette maison qui était autrefois mon refuge.
Un soir, alors que le soleil se couche sur l’océan, j’entends des éclats de voix dans le salon. Hélène reproche à papa de ne pas assez s’impliquer dans notre « intégration ». Je me fige derrière la porte.
— Tu ne vois pas qu’elles se détestent ?
— Elles ont besoin de temps, Hélène…
— Le temps ne fait rien si tu ne fais rien !
Je retourne dans ma chambre, le cœur lourd. Je repense à ces étés où papa et moi ramassions des coquillages au petit matin. Maintenant, il partage ses rires avec Chloé. Je me sens trahie, remplacée.
Le lendemain, maman m’appelle. Elle veut savoir comment ça se passe. Je mens : « Ça va. » Mais elle devine tout. « Camille, tu dois essayer de comprendre Chloé aussi. Ce n’est pas facile pour elle non plus. »
Je raccroche, frustrée. Pourquoi est-ce toujours à moi de faire des efforts ?
Quelques jours plus tard, un orage éclate. L’électricité saute. Dans le noir, je croise Chloé dans le couloir.
— T’as pas peur du noir ?
— Non.
— Moi non plus.
Un silence gênant s’installe. Puis elle soupire :
— Tu crois que j’ai demandé à ce que nos parents se marient ?
Je reste sans voix. Pour la première fois, je vois une faille dans son armure.
— Non… Moi non plus.
On s’assoit sur le tapis du salon, éclairées par la lueur d’une bougie. Elle me raconte sa vie à Nantes, ses amies qu’elle a laissées derrière elle, sa peur de ne jamais trouver sa place ici.
— Je suis désolée si j’ai été dure avec toi, dit-elle en triturant ses bracelets.
Je sens mes yeux picoter. Moi aussi j’ai été injuste.
Les jours suivants, quelque chose change entre nous. On partage des secrets à voix basse le soir, on rit des habitudes étranges de nos parents. Mais parfois, sa franchise me blesse encore.
— Tu devrais arrêter de te cacher derrière tes livres et vivre un peu, lâche-t-elle un matin.
Je prends sur moi pour ne pas exploser.
— Peut-être que toi tu pourrais apprendre à tourner ta langue sept fois avant de parler !
Elle éclate de rire. Et moi aussi, malgré moi.
L’été avance. Les tensions s’apaisent peu à peu. Mais au fond de moi subsiste une question : est-ce qu’on peut vraiment choisir sa famille ? Ou doit-on juste apprendre à composer avec les morceaux cassés ?
Parfois je me demande : si nos parents n’avaient jamais divorcé… est-ce que j’aurais été plus heureuse ? Ou est-ce que ce chaos m’a permis de grandir autrement ? Qu’en pensez-vous ?