Entre Deux Mondes : Le Choix de Mon Fils et la Famille Éclatée

« Tu ne comprends pas, maman ! » La voix de Guillaume résonne encore dans le salon, tranchante comme une lame. Je serre la nappe entre mes doigts, cherchant mes mots, mais ils se coincent dans ma gorge. Camille est assise à côté de lui, le regard fuyant, et le petit Arthur joue dans un coin, inconscient de la tempête qui gronde.

Je n’ai jamais imaginé ma vie ainsi. J’ai élevé Guillaume seule après le départ de son père ; nous étions soudés, complices contre le monde. Puis il a rencontré Camille. Elle est arrivée avec son sourire doux… et Arthur, son fils de cinq ans. J’ai fait bonne figure au début, mais au fond de moi, une voix murmurait : « Ce n’est pas ton petit-fils. »

Le jour du mariage, j’ai souri pour les photos, j’ai embrassé Camille sur les deux joues, mais mon cœur battait trop vite. Quand ils ont annoncé la naissance de Léa, leur fille à eux deux, j’ai cru que tout s’arrangerait. Mais non. Je me suis surprise à préférer Léa à Arthur, à offrir des cadeaux plus beaux à ma « vraie » petite-fille. Et chaque fois que je voyais Arthur courir vers Guillaume en criant « papa ! », une jalousie sourde me rongeait.

Un dimanche, alors que nous étions réunis pour déjeuner, la tension a explosé. Guillaume a posé sa fourchette avec fracas :
— Pourquoi tu ne t’occupes jamais d’Arthur ? Tu ne vois pas qu’il sent la différence ?
J’ai voulu protester, dire que ce n’était pas vrai, mais Camille m’a coupée :
— Il demande souvent pourquoi sa « mamie » ne lui fait pas de câlins comme à Léa.

J’ai senti les larmes monter. Comment expliquer ce sentiment d’étrangeté ? Ce blocage ? Je n’ai pas choisi cette situation. Je n’ai pas choisi Arthur. Mais mon fils, lui, l’a choisi. Et je le perds un peu plus chaque jour.

Les semaines suivantes, Guillaume m’a appelée moins souvent. Les invitations se sont espacées. J’ai vu sur Facebook des photos d’eux à la plage, sans moi. Léa grandissait ; Arthur aussi. Un soir d’hiver, j’ai reçu un dessin dans ma boîte aux lettres : deux enfants qui se tenaient la main sous un soleil maladroit. Au dos : « Pour mamie ». Les deux prénoms étaient là.

Je me suis effondrée sur le canapé. Qu’est-ce qui m’empêchait d’aimer cet enfant ? Était-ce la peur de trahir le sang ? Ou simplement la peur d’être remplacée dans le cœur de Guillaume ?

J’ai repensé à mon propre père, qui avait refusé d’accepter mon choix de vie après mon divorce. Avais-je hérité de ses rigidités ?

Un samedi matin, j’ai pris mon courage à deux mains et je suis allée chez eux sans prévenir. Camille m’a ouvert la porte, surprise mais polie. Arthur était dans sa chambre, Léa dormait encore.

— Arthur… tu veux venir faire un gâteau avec moi ?
Il m’a regardée avec méfiance, puis a hoché la tête. Nous avons cassé les œufs ensemble ; il a ri quand j’ai renversé de la farine partout. Pour la première fois, j’ai vu ses yeux briller rien que pour moi.

Guillaume est entré dans la cuisine et m’a regardée longuement.
— Merci maman.

Ce jour-là, quelque chose s’est fissuré en moi. J’ai compris que l’amour ne se partage pas : il s’additionne. Mais il faut du temps pour guérir les blessures invisibles.

Aujourd’hui encore, il m’arrive de ressentir une pointe d’amertume quand Arthur saute dans les bras de Guillaume. Mais je fais un effort chaque jour pour dépasser mes peurs et mes préjugés.

Est-ce que l’on peut vraiment aimer un enfant qui n’est pas « de soi » ? Ou est-ce justement là que commence le vrai amour ? Qu’en pensez-vous ?