Entre Deux Feux : Quand Ma Belle-Mère S’immisce Dans Mon Couple
— Tu as encore oublié de répondre à ma mère, William !
La voix me sort de mes pensées alors que je termine de ranger la vaisselle. William, assis sur le canapé, le regard plongé dans son téléphone, soupire sans lever les yeux.
— Camille, tu sais bien qu’elle s’inquiète. Elle veut juste savoir si tout va bien.
Je serre les dents. Depuis trois ans que nous sommes mariés, Ariane, ma belle-mère, n’a jamais cessé de s’immiscer dans notre vie. Elle appelle William au moins cinq fois par jour, parfois juste pour lui dire qu’il fait beau ou qu’elle a acheté une nouvelle robe. Elle lui envoie des photos de ses coiffures, des selfies devant le miroir, des messages vocaux interminables où elle raconte ses journées dans les moindres détails.
Ariane a 45 ans, mais elle en paraît dix de moins. Toujours tirée à quatre épingles, elle ne sort jamais sans son rouge à lèvres carmin ni ses talons aiguilles. Depuis son divorce avec le père de William, elle a décidé que plus aucun homme ne partagerait sa vie. Son unique raison d’être : son fils.
Au début, j’ai trouvé ça attendrissant. Une mère et son fils, complices, unis par les épreuves. Mais très vite, j’ai compris que je n’aurais jamais la première place dans le cœur de William. Chaque fois que nous faisons un projet — vacances, achat d’un meuble, même choix du menu du soir — il faut d’abord demander l’avis d’Ariane.
Un soir d’hiver, alors que la pluie tambourinait contre les vitres de notre appartement à Lyon, j’ai explosé.
— William, tu ne vois pas qu’elle nous étouffe ? On ne peut rien faire sans qu’elle intervienne !
Il m’a regardée comme si je venais de blasphémer.
— C’est ma mère, Camille. Elle a tout sacrifié pour moi. Je lui dois bien ça.
— Et moi ? Tu ne me dois rien ?
Il s’est levé brusquement et a quitté la pièce. J’ai senti mes yeux me brûler. Je me suis demandé si j’étais égoïste ou simplement lucide.
Les semaines suivantes ont été un calvaire. Ariane a commencé à venir chez nous sans prévenir. Un dimanche matin, alors que je sortais de la douche en peignoir, je l’ai trouvée assise dans notre salon, une boîte de croissants sur la table.
— Bonjour Camille ! J’ai pensé que vous auriez envie de viennoiseries.
J’ai forcé un sourire. William était ravi. Il riait avec elle comme un enfant. Je me suis sentie invisible.
Un soir, alors que je rentrais tard du travail, j’ai surpris une conversation téléphonique entre eux.
— Tu sais maman, Camille est fatiguée en ce moment…
— Oh mon pauvre chéri ! Elle ne te fait pas assez à manger ? Tu veux que je vienne préparer des petits plats ?
J’ai claqué la porte plus fort que je ne l’aurais voulu. Silence gênant. William m’a lancé un regard coupable.
Le lendemain, Ariane a débarqué avec des tupperwares remplis de gratins et de soupes maison. J’ai explosé.
— Ariane, je vous remercie mais ce n’est pas nécessaire ! Je peux très bien nourrir mon mari !
Elle m’a regardée avec ce sourire pincé qui me glace le sang.
— Oh mais je veux juste aider… Tu sais, William a toujours eu l’estomac fragile.
J’ai eu envie de hurler.
Les disputes avec William se sont multipliées. Il me reprochait mon manque d’empathie envers sa mère ; je lui reprochais son absence de limites. Un soir, il a lâché :
— Si tu m’aimes vraiment, tu dois accepter ma mère telle qu’elle est.
J’ai pleuré toute la nuit.
Mes amies ne comprenaient pas pourquoi je restais. « Tu n’es pas mariée à ta belle-mère ! » disaient-elles. Mais c’est faux : en France, on épouse souvent une famille entière.
Un jour, j’ai décidé d’aller voir Ariane chez elle, dans sa maison impeccable en banlieue lyonnaise. J’ai pris mon courage à deux mains.
— Ariane, il faut qu’on parle.
Elle m’a invitée à m’asseoir dans son salon où tout sentait la lavande et la cire d’abeille.
— Je vous écoute Camille.
Ma voix tremblait :
— J’aime William. Mais votre présence constante nous empêche de construire notre couple. J’aimerais qu’on trouve un équilibre…
Elle a posé sa tasse avec lenteur.
— Vous croyez que je veux vous nuire ? J’ai tout donné pour mon fils. Il est tout ce qui me reste. Vous ne pouvez pas comprendre ce que c’est d’être seule après un divorce…
Ses yeux se sont embués. J’ai ressenti une pointe de compassion mêlée à une colère sourde.
— Mais Ariane… Si vous continuez ainsi, vous risquez de le perdre aussi.
Elle a détourné le regard.
En rentrant chez moi ce soir-là, j’ai trouvé William assis dans le noir.
— Ma mère m’a appelée en larmes… Qu’est-ce que tu lui as dit ?
J’ai tout avoué. Il s’est levé brusquement :
— Tu veux me forcer à choisir entre vous deux ?
Je n’ai rien répondu. Le silence était plus lourd que n’importe quel mot.
Depuis cette confrontation, rien n’a vraiment changé. Ariane continue d’appeler tous les jours ; William répond toujours présent. Moi, je me sens chaque jour un peu plus étrangère dans mon propre foyer.
Parfois je me demande : est-ce vraiment possible d’exister à deux quand l’ombre d’une mère plane sur chaque instant ? Faut-il choisir entre l’amour conjugal et l’amour filial ? Ou bien existe-t-il une frontière que personne n’ose tracer ?