Entre Deux Cœurs : Le Choix Impossible d’une Mère Française

« Tu choisis : lui ou moi. »

La voix de Juliette résonne encore dans le salon, tranchante comme une lame. Je reste figée, la main crispée sur la poignée de la porte. Mon cœur bat si fort que j’ai l’impression qu’il va exploser. Comment en sommes-nous arrivées là ?

Il y a trois ans, tout s’est effondré. Antoine, mon mari, est parti un matin pour ne jamais revenir. Un accident de voiture sur la nationale, un appel de la gendarmerie, et ma vie s’est brisée en mille morceaux. Juliette n’avait que onze ans. J’ai dû être forte pour elle, cacher mes larmes, lui promettre que tout irait bien alors que je n’en croyais pas un mot.

Les premiers mois ont été un cauchemar. Je me levais chaque matin avec cette boule dans la gorge, traînant mes pas jusqu’au collège pour déposer Juliette, puis jusqu’au lycée où j’enseignais le français. Mes collègues m’entouraient d’une sollicitude maladroite ; certains évitaient mon regard, d’autres me serraient la main trop fort. Mais le soir, dans notre appartement du centre de Tours, le silence était assourdissant.

Juliette s’est renfermée. Elle ne parlait plus de son père, refusait de regarder les photos, claquait la porte de sa chambre à la moindre remarque. J’ai tenté de l’emmener voir une psychologue, mais elle n’a jamais voulu y retourner après la première séance. « Je ne suis pas folle », m’a-t-elle lancé.

Le temps a passé. J’ai repris goût à la vie, petit à petit. Les rires sont revenus, timides d’abord, puis plus francs lors des vacances à La Rochelle ou des soirées crêpes à la maison. Mais il manquait quelque chose… ou plutôt quelqu’un.

C’est au lycée que j’ai rencontré Vincent. Professeur d’histoire-géo, divorcé, père d’un garçon qui vivait avec sa mère à Nantes. Nous avons commencé par échanger sur nos classes difficiles, puis sur nos vies cabossées. Un soir de correction de copies au café du coin, il a posé sa main sur la mienne. J’ai senti une chaleur que je croyais disparue à jamais.

Au début, j’ai tout caché à Juliette. Je culpabilisais déjà assez de ressentir à nouveau du désir, du bonheur. Mais Vincent était patient ; il ne forçait rien, acceptait mes hésitations. Après six mois, j’ai décidé de présenter Vincent à Juliette.

Ce dîner restera gravé dans ma mémoire comme un naufrage annoncé. Juliette a à peine levé les yeux de son assiette. Vincent a tenté quelques blagues maladroites sur les profs et les élèves ; elle n’a pas souri une seule fois. Après le dessert, elle s’est levée sans un mot et s’est enfermée dans sa chambre.

Les semaines suivantes ont été un calvaire. Juliette m’ignorait ou me lançait des piques blessantes : « Tu l’aimes plus que papa ? », « Tu veux remplacer papa ? », « Tu penses qu’à toi ! » J’ai essayé de lui expliquer que personne ne remplacerait jamais Antoine, que mon amour pour elle restait intact. Mais rien n’y faisait.

Un soir d’automne, alors que Vincent venait de partir après un dîner tendu, Juliette a explosé :

— Tu ne comprends rien ! Tu veux refaire ta vie ? Très bien ! Mais ce sera sans moi !

— Juliette…

— Non ! C’est lui ou moi !

J’ai senti mes jambes flancher. Comment choisir entre ma fille et l’homme qui me redonnait goût à la vie ?

Les jours suivants ont été un supplice silencieux. Juliette m’évitait, passait ses soirées chez son amie Camille ou enfermée dans sa chambre avec ses écouteurs vissés sur les oreilles. Vincent me pressait doucement : « Tu dois penser à toi aussi, Claire… » Mais comment penser à moi quand ma fille souffre autant ?

Un samedi matin, alors que je préparais le petit-déjeuner, Juliette est entrée dans la cuisine sans un mot. Elle s’est assise face à moi et a murmuré :

— Tu vas vraiment choisir ?

J’ai senti les larmes monter.

— Je ne veux pas te perdre… Mais je ne peux pas continuer comme ça non plus.

Elle a détourné les yeux.

— Papa te manque pas assez ?

Cette phrase m’a transpercée. Je me suis levée pour la prendre dans mes bras mais elle s’est dérobée.

— Je vais chez Camille.

La porte a claqué derrière elle.

Je me suis effondrée sur la table en sanglotant. Pourquoi l’amour doit-il être si compliqué ? Pourquoi le bonheur d’une mère doit-il passer par le malheur de sa fille ?

J’ai appelé Vincent ce soir-là.

— Je crois qu’on doit faire une pause… Je ne veux pas perdre Juliette.

Il est resté silencieux longtemps avant de répondre :

— Je comprends… Mais je t’aime, Claire.

J’ai raccroché en pleurant toutes les larmes de mon corps.

Les semaines ont passé. Juliette a retrouvé le sourire peu à peu ; elle a recommencé à parler de son père, à sortir avec ses amis. Mais moi, je me suis sentie vide, amputée d’une part de moi-même.

Aujourd’hui encore, je me demande si j’ai fait le bon choix. Peut-on vraiment être une bonne mère sans s’oublier soi-même ? Est-ce que le bonheur d’une femme doit toujours passer après celui de ses enfants ?

Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?