Entre Deux Amours : Le Choix qui a Brisé Mon Cœur

« Tu dois choisir, Camille. C’est lui ou moi. »

La voix de Paul résonne encore dans ma tête, froide et tranchante comme un couperet. Je suis assise sur le carrelage glacé de la cuisine, les mains tremblantes autour d’une tasse de thé que je n’arrive pas à porter à mes lèvres. Il est minuit passé, la ville dort, mais dans notre appartement du 11ème arrondissement, tout vacille.

Je n’aurais jamais cru en arriver là. Paul et moi, on s’est rencontrés à la fac de droit à Lyon. Il était brillant, drôle, un peu cynique parfois, mais terriblement séduisant. On s’est aimés vite, fort, comme si rien ne pouvait nous arrêter. Après cinq ans ensemble, on s’est installés à Paris pour son travail dans un cabinet d’avocats réputé. Moi, j’ai laissé tomber mes rêves de magistrature pour enseigner l’histoire-géo dans un collège du 18ème. On avait des projets, des envies de voyages, une vie bien rangée.

Mais ce soir-là, tout s’effondre. Je suis enceinte de trois mois. Ce bébé, je ne l’ai pas planifié, mais dès que j’ai vu les deux traits roses sur le test, j’ai su que je voulais le garder. Paul, lui, a blêmi. Il a parlé de carrière, de timing, de notre appartement trop petit et de ses parents qui attendent qu’on soit « installés » avant d’agrandir la famille. J’ai cru qu’il avait juste besoin de temps.

Mais ce soir-là, il est rentré tard, le visage fermé. Il a posé son attaché-case sur la table et m’a regardée droit dans les yeux :

— Camille, je ne peux pas. Je ne veux pas de cet enfant maintenant. Si tu décides de le garder… je partirai.

J’ai cru m’étouffer. Comment pouvait-il me demander ça ?

— Tu ne peux pas me demander de choisir entre toi et notre bébé !

— Je ne te demande rien. Je t’explique ce que MOI je peux supporter.

Il a claqué la porte de la chambre. J’ai passé la nuit à pleurer sur le canapé.

Les jours suivants ont été un enfer silencieux. Paul évitait mon regard, rentrait tard, ne parlait plus que par monosyllabes. Sa mère m’a appelée :

— Camille, tu sais que Paul a beaucoup de pression en ce moment… Peut-être que ce n’est pas le bon moment pour un enfant ?

J’ai raccroché sans répondre. Ma propre mère, elle, m’a serrée dans ses bras :

— Ma chérie, tu dois penser à toi maintenant. À ce que tu veux vraiment.

Mais ce que je voulais ? Je voulais ma famille. Je voulais Paul ET ce bébé.

Un matin de janvier, alors que la neige tombait sur les toits parisiens, Paul a fait sa valise. Il n’a pas pleuré. Moi non plus. J’étais vidée.

— Je suis désolé, Camille. Peut-être qu’un jour tu comprendras.

Il est parti sans se retourner.

Les mois suivants ont été les plus longs de ma vie. Les regards des collègues au collège – certains compatissants, d’autres curieux ou jugeants – me rappelaient chaque jour mon nouveau statut : « la prof enceinte et seule ». Les rendez-vous à la maternité de l’hôpital Lariboisière étaient un supplice ; chaque couple main dans la main me renvoyait à mon échec.

J’ai accouché d’un petit garçon en août. Je l’ai appelé Louis, comme mon grand-père. Quand je l’ai pris dans mes bras pour la première fois, j’ai compris que j’avais fait le bon choix – pour moi. Mais le vide laissé par Paul était immense.

Il a fallu apprendre à vivre autrement : jongler entre les couches et les copies à corriger, affronter les nuits blanches seule, répondre aux questions maladroites des amis :

— Tu as des nouvelles de Paul ?
— Il compte reconnaître Louis ?

Non. Il n’a jamais appelé.

Un soir d’automne, alors que Louis faisait ses premiers pas dans le salon encombré de jouets, j’ai reçu une lettre manuscrite. L’écriture de Paul.

« Camille,
Je ne sais pas si tu me pardonneras un jour. J’ai eu peur – peur de ne pas être à la hauteur, peur de tout perdre… J’espère que tu es heureuse avec Louis. Peut-être qu’un jour je serai capable d’être le père qu’il mérite.
Paul »

J’ai pleuré longtemps ce soir-là. Pas pour Paul – pour la vie qu’on aurait pu avoir ensemble.

Aujourd’hui, Louis a trois ans. Il rit fort, il court partout dans le parc des Buttes-Chaumont et il me serre fort dans ses bras quand il a peur du noir. Parfois je croise Paul au détour d’une rue ; il baisse les yeux et accélère le pas.

Je ne regrette pas mon choix. Mais je me demande souvent : pourquoi l’amour ne suffit-il pas ? Comment peut-on aimer si fort et se déchirer à ce point ? Est-ce qu’on peut vraiment tout reconstruire après avoir tout perdu ?

Et vous… auriez-vous fait le même choix ?