Entre Chien et Frère : Les Larmes de la Réconciliation
« Laisse ton chien chez quelqu’un d’autre, puis on ira la voir ! » La voix de Luc résonne dans le couloir, sèche, tranchante comme une lame. Oscar, mon vieux labrador, gémit doucement à mes pieds, sentant la tension qui emplit l’air de l’appartement. Je serre la laisse entre mes doigts tremblants, incapable de répondre tout de suite.
« Tu sais très bien que je ne peux pas le laisser seul, Luc ! » Ma voix se brise. Depuis que maman est tombée malade, tout est devenu compliqué. Luc et moi, autrefois inséparables, sommes devenus deux étrangers qui se croisent dans les couloirs de l’hôpital Édouard-Herriot sans se regarder vraiment.
Il soupire, exaspéré. « Tu fais toujours passer ce chien avant tout le monde. Même avant maman ! »
Je sens la colère monter, mais aussi la honte. Est-ce vrai ? Oscar est mon refuge depuis la mort de papa. Quand maman a commencé à oublier nos prénoms, c’est lui qui m’a empêchée de sombrer. Mais comment expliquer ça à Luc ? Lui, il a choisi de s’enfermer dans le travail, de ne jamais parler de ce qu’il ressent.
Je m’assois sur le vieux canapé du salon, Oscar pose sa tête sur mes genoux. « Tu ne comprends pas… »
Luc s’approche, son visage durci par la fatigue et la rancœur. « Non, c’est toi qui ne comprends pas ! On doit être là pour elle, ensemble. Mais toi, tu viens toujours avec ton chien, comme si tu avais peur d’être seule avec nous. »
Un silence lourd s’installe. Je repense à notre enfance à Villeurbanne, aux dimanches passés au parc de la Tête d’Or avec nos parents et notre premier chien, César. À cette époque, Luc riait tout le temps. Aujourd’hui, il ne sourit plus jamais.
« Tu te rappelles quand on jouait à cache-cache derrière les arbres ? » je murmure, espérant briser la glace.
Il détourne les yeux. « Ce n’est pas le moment de parler du passé. »
Mais c’est justement le passé qui nous ronge. Depuis que maman a été diagnostiquée avec Alzheimer, Luc et moi avons pris des chemins opposés pour gérer la douleur : lui dans le déni, moi dans l’attachement féroce à ce qui me reste.
Oscar gémit encore. Je caresse son pelage gris. « Je ne peux pas le laisser… Il fait partie de la famille aussi. »
Luc explose : « C’est toujours pareil avec toi ! Tu refuses de voir la réalité en face ! Maman ne nous reconnaît même plus… À quoi bon continuer à faire semblant ? »
Ses mots me frappent en plein cœur. Je sens les larmes monter mais je refuse de pleurer devant lui. « Peut-être qu’elle ne nous reconnaît plus… Mais elle reconnaît Oscar. Chaque fois qu’on vient, elle sourit en le voyant. C’est tout ce qu’il nous reste d’elle ! »
Luc s’effondre sur une chaise, la tête entre les mains. Pour la première fois depuis des mois, il laisse tomber le masque. Sa voix est rauque : « J’ai peur, Camille… J’ai peur qu’elle parte sans qu’on ait eu le temps de lui dire au revoir vraiment… »
Je m’approche doucement et pose ma main sur son épaule. « On peut encore essayer… Ensemble. Avec Oscar si tu veux bien. »
Il relève la tête, les yeux rouges. « Je voulais juste retrouver ma sœur… Pas une étrangère qui se cache derrière son chien. »
Je souris tristement. « Je suis là, Luc. J’ai juste besoin d’un peu d’aide pour affronter tout ça… »
Le silence retombe mais il est différent cette fois : moins lourd, presque apaisant.
Le lendemain matin, nous partons tous les trois vers l’hôpital. Oscar trottine fièrement entre nous deux. Dans la chambre blanche où maman dort paisiblement, il saute sur le lit et elle ouvre les yeux en murmurant : « César ? »
Luc et moi échangeons un regard ému. Nous savons qu’elle confond Oscar avec notre vieux chien d’enfance, mais peu importe : pour un instant fugace, nous sommes réunis autour d’un souvenir heureux.
En sortant de l’hôpital, Luc me serre dans ses bras comme avant. « On va y arriver », souffle-t-il.
Je regarde Oscar qui remue la queue et je me demande : pourquoi est-ce si difficile d’accepter que l’amour prend parfois des formes inattendues ? Et vous, jusqu’où iriez-vous pour préserver les liens familiaux face à la maladie et au chagrin ?