Des années de sacrifices pour mes enfants : rejetée par ceux que j’ai tant aimés
« Maman, tu ne peux pas rester ici, ce n’est pas possible. » La voix de mon fils aîné, Thomas, résonne encore dans ma tête comme une gifle. Je suis debout dans l’entrée de son appartement, ma valise à la main, le cœur battant trop fort. Je viens de passer trente ans à travailler à Genève, à m’occuper des personnes âgées, à changer des draps et essuyer des larmes qui n’étaient pas les miennes. Tout ça pour eux, mes trois enfants, restés à Lyon avec leur père après notre divorce. Je me suis toujours dit que je faisais ça pour leur avenir, pour qu’ils n’aient jamais à manquer de rien.
Mais aujourd’hui, alors que je n’ai plus de travail, plus de force, et que la retraite tarde à venir, je me retrouve sans foyer. J’ai acheté un appartement à chacun de mes enfants : Thomas dans le 3e arrondissement, Julie à Villeurbanne, et Paul à Croix-Rousse. Je me souviens encore de la fierté dans leurs yeux quand je leur ai remis les clés. « C’est grâce à toi, maman ! » disaient-ils. Mais aujourd’hui, il n’y a plus de place pour moi.
« Tu comprends, avec les enfants et le boulot… On n’a pas la place. » Julie me regarde à peine. Elle est pressée, elle doit partir chercher ses filles à l’école. Paul ne répond même plus à mes messages. Il a toujours été le plus distant, mais je pensais qu’avec le temps…
Je me retrouve à errer dans les rues de Lyon, mon sac sur l’épaule. J’ai 62 ans et je dors chez une amie d’enfance, Monique, qui m’accueille sur son canapé. « Tu as trop donné, Lucie. Ils ne se rendent pas compte… » Elle me prépare un café et me serre la main. Mais ce n’est pas chez moi ici. Je rêve d’un endroit où poser mes valises pour de bon.
Un soir, j’appelle Thomas. « Je t’en supplie, laisse-moi rester quelques semaines… Je ne demande pas grand-chose. » Il soupire : « Maman, tu sais bien que Claire ne veut pas… On a nos problèmes aussi. » Sa femme ne m’a jamais aimée. Elle trouve que je suis trop envahissante, trop présente. Pourtant, je ne voulais qu’aider.
Je repense à toutes ces années passées loin d’eux. Les anniversaires manqués, les Noëls seule dans une chambre d’employée à Genève. Les appels vidéo où je cachais mes larmes derrière un sourire fatigué. Je me disais toujours : « Un jour, tu rentreras et tu seras entourée d’eux. » Mais ce jour n’est jamais venu.
Un dimanche matin, je décide d’aller voir Paul sans prévenir. Il ouvre la porte en pyjama, l’air surpris et agacé. « Qu’est-ce que tu fais là ? » Je bredouille : « Je voulais juste te voir… Peut-être rester un peu ? » Il secoue la tête : « Je vis en colocation, maman. Ce n’est pas possible. Tu aurais dû prévenir. » Il referme la porte doucement mais fermement.
Je marche longtemps dans les rues du quartier, le vent froid sur mon visage. Je croise des familles qui rient ensemble sur les marchés du dimanche matin. Je me sens invisible.
Un soir, Monique me propose d’aller voir une assistante sociale. « Tu as cotisé toute ta vie en Suisse et en France, tu as droit à quelque chose ! » Mais la paperasse est interminable et les réponses tardent à venir. Je me sens humiliée de devoir demander de l’aide alors que j’ai tout donné pour mes enfants.
Je repense à mon propre père, ouvrier chez Renault, qui disait toujours : « On travaille dur pour nos enfants mais il ne faut rien attendre en retour. » Je ne voulais pas y croire.
Un jour, Julie m’appelle enfin : « Maman, on peut se voir ? » J’y vais le cœur battant d’espoir. Elle m’accueille dans sa cuisine lumineuse où ses filles jouent au sol. Elle me sert un thé et me regarde droit dans les yeux : « On a discuté avec Thomas et Paul… On pense qu’il vaudrait mieux que tu cherches une petite location ou une résidence seniors… On t’aidera pour les démarches si tu veux. Mais vivre chez nous… ce n’est pas possible. » Sa voix tremble un peu mais elle ne cède pas.
Je comprends alors que je suis devenue une étrangère dans ma propre famille.
Je passe mes journées à marcher dans Lyon, à regarder les immeubles où vivent mes enfants sans moi. Parfois je croise des voisins qui me reconnaissent : « Alors Lucie, tu profites de ta retraite ? » Je souris faiblement.
La nuit, sur le canapé de Monique, je repense à tout ce que j’ai sacrifié : ma jeunesse, mes rêves d’amour après le divorce, ma santé parfois aussi. Tout ça pour qu’aujourd’hui je sois seule.
J’aimerais demander à ceux qui lisent mon histoire : Est-ce que j’ai trop donné ? Est-ce qu’on peut aimer ses enfants au point de s’oublier soi-même ?