Comme ma propre fille – Le prix du cœur brisé

« Tu mens, Camille ! » Ma voix tremble, résonne dans le salon silencieux. Camille, assise sur le canapé, les bras croisés, détourne le regard. Je sens mon cœur battre à tout rompre, la colère et la tristesse se mêlant dans mes veines. C’est la première fois que je la vois ainsi, fermée, étrangère. Pourtant, il y a deux ans, quand j’ai rencontré Paul, son père, je croyais que l’amour pouvait tout réparer.

Je m’appelle Élodie. J’ai 38 ans, deux enfants d’un premier mariage – Lucie et Théo – et depuis mon union avec Paul, j’ai accueilli Camille comme ma propre fille. Elle avait quinze ans quand elle est arrivée dans notre appartement de Lyon, paumée, blessée par le divorce de ses parents. J’ai voulu être cette mère qu’elle n’avait plus. J’ai cru qu’avec de la patience et de l’amour, elle finirait par me faire confiance.

Mais ce soir-là, tout s’écroule. Paul a découvert que 300 euros manquaient dans notre enveloppe de courses. J’ai d’abord cru à une erreur. Puis j’ai vu les messages sur le portable de Camille : « Tkt je ramène l’argent demain », « Ma belle-mère n’y verra que du feu ». Mon sang s’est glacé. Je me suis revue, quelques mois plus tôt, la serrant dans mes bras après une crise d’angoisse, lui promettant qu’ici, elle serait chez elle.

« Pourquoi tu as fait ça ? » Ma voix se brise. Camille hausse les épaules :
— J’avais besoin d’argent. C’est tout.
— Mais pourquoi ne pas m’en parler ?
— Parce que tu ne comprends rien !

Paul intervient, sa voix grave :
— Camille, on t’a toujours aidée. On t’a jamais laissée tomber.

Elle explose :
— Vous n’êtes pas ma vraie famille !

Le silence tombe, lourd comme une chape de plomb. Lucie et Théo observent la scène depuis l’escalier. Je sens leurs regards inquiets. Mon foyer, que j’ai tant voulu harmonieux, se fissure sous mes yeux.

Les jours suivants sont un supplice. Camille s’enferme dans sa chambre, ne descend plus manger avec nous. Paul et moi nous disputons chaque soir :
— Tu es trop dure avec elle !
— Et toi, tu refuses de voir la vérité !

Je me sens seule. Les amis me disent : « C’est l’adolescence », « Elle finira par comprendre ». Mais au fond de moi, je doute. Ai-je eu tort de croire qu’on pouvait aimer un enfant qui n’est pas le sien comme le sien ?

Un matin, je trouve une lettre sur mon oreiller :
« Je suis désolée. Je voulais pas te faire de mal. Mais j’ai l’impression d’être toujours à côté ici. »

Je fonds en larmes. Je repense à ma propre adolescence à Grenoble, à ma mère qui criait trop fort et à mon père absent. Je voulais offrir mieux à mes enfants… et à Camille.

Je décide d’aller la voir dans sa chambre. Elle écoute de la musique fort, les écouteurs vissés aux oreilles. Je m’assieds sur son lit sans rien dire. Elle me regarde enfin.
— Tu sais, Camille… Je ne suis peut-être pas ta mère biologique. Mais je t’aime comme si tu étais ma fille.

Elle détourne les yeux, mais je vois ses lèvres trembler.
— Pourquoi tu fais tout ça pour moi ?
— Parce que personne ne mérite de se sentir seule.

Un silence gênant s’installe. Puis elle murmure :
— J’ai peur que tu partes toi aussi.

Mon cœur se serre. Voilà la vérité nue : la peur de l’abandon.

Les semaines passent. La confiance est brisée mais pas irrémédiablement perdue. Nous commençons une thérapie familiale à la Maison des Adolescents du quartier Croix-Rousse. Les séances sont éprouvantes ; chacun vide son sac. Paul avoue qu’il a du mal à trouver sa place entre moi et sa fille. Lucie confie qu’elle se sent invisible depuis l’arrivée de Camille.

Un soir d’hiver, après une séance particulièrement difficile, Camille vient me voir dans la cuisine.
— Tu crois qu’on pourra redevenir une famille ?

Je prends sa main dans la mienne.
— On n’a jamais cessé d’essayer.

La route est longue. Il y a des rechutes : des disputes pour un rien, des silences pesants au dîner. Mais il y a aussi des victoires minuscules : un sourire échangé, un « bonne nuit » murmuré du bout des lèvres.

Aujourd’hui, Camille a dix-sept ans. Elle prépare son bac littéraire et rêve de partir à Paris faire du théâtre. Notre relation reste fragile mais réelle. Parfois je me demande si l’amour suffit pour réparer les blessures du passé.

Est-ce que le lien du cœur peut vraiment remplacer celui du sang ? Ou sommes-nous condamnés à porter les cicatrices de nos histoires familiales ? Qu’en pensez-vous ?