Céder mon appartement à mon frère ? Une histoire de famille qui a brisé mon cœur
« Tu ne peux pas comprendre, Camille, c’est ton frère ! » La voix de ma mère résonne encore dans ma tête, tremblante, presque suppliante. Je serre le téléphone si fort que mes jointures blanchissent. Mon regard se perd sur les murs de mon petit appartement du 14e arrondissement, ce cocon que j’ai mis des années à bâtir, pièce après pièce, sacrifice après sacrifice.
Tout a commencé un mardi soir, alors que je rentrais du travail, épuisée par une journée interminable à la médiathèque municipale. Je n’avais qu’une envie : me glisser sous ma couette avec un livre. Mais le téléphone a sonné. Maman. Je savais déjà que ce n’était pas pour parler de la pluie ou du dernier épisode de « Plus belle la vie ».
« Camille, il faut qu’on parle… »
J’ai senti la tempête arriver. Elle m’a expliqué que Paul, mon petit frère, venait de perdre son emploi et que sa copine l’avait mis dehors. Il n’avait nulle part où aller. « Tu sais bien qu’il n’a pas ta chance… Tu pourrais lui laisser ton appartement, juste le temps qu’il se retourne. »
J’ai cru m’étouffer. Mon appartement ? Celui pour lequel j’ai travaillé tous les week-ends depuis mes 19 ans ? Celui que j’ai acheté seule, sans l’aide de personne ?
« Maman, tu ne peux pas me demander ça… »
Mais elle insistait, jouant sur la corde sensible : « Tu es forte, toi. Paul, il est fragile… Il a toujours eu du mal. »
Je me suis retrouvée piégée entre deux feux : la culpabilité et la colère. Depuis toujours, Paul était le centre des attentions. Quand il a raté son bac, c’était la faute des profs. Quand il a perdu son premier boulot, c’était la crise. Et moi ? J’étais celle qui devait comprendre, celle qui devait céder.
Le lendemain, Paul m’a appelée. Sa voix était hésitante : « Camille… Je sais que c’est beaucoup demander… Mais je suis vraiment dans la merde… »
Je me suis revue petite fille, partageant mes jouets avec lui parce qu’il pleurait plus fort que moi. J’ai senti les larmes monter.
« Tu veux que je parte d’ici ? Que je laisse tout ce que j’ai construit ? »
Silence au bout du fil. Puis il a murmuré : « Juste quelques mois… Je te jure… »
J’ai raccroché sans répondre. Toute la nuit, j’ai tourné en rond dans mon salon. Les souvenirs défilaient : les disputes d’enfance, les Noëls où Paul avait toujours le plus gros cadeau, les repas de famille où mes réussites passaient inaperçues à côté de ses échecs.
Le surlendemain, maman est venue chez moi. Elle a posé sa main sur la mienne : « Camille, tu ne vas pas laisser ton frère à la rue… »
J’ai explosé : « Et moi alors ? Pourquoi c’est toujours moi qui dois tout sacrifier ? Pourquoi personne ne me demande si je vais bien ? »
Elle a baissé les yeux. « Tu es forte… »
Ce mot m’a transpercée comme une lame. Forte. Comme si être forte voulait dire tout encaisser sans broncher.
Les jours ont passé. Les messages de Paul se sont faits plus pressants. Il m’envoyait des photos de ses valises dans le coffre d’une vieille Clio, des textos à minuit : « Je dors chez un pote ce soir… Je ne sais pas où j’irai demain… »
Je me suis sentie coupable d’avoir un toit alors que lui errait de canapé en canapé. Mais en même temps, une colère sourde grondait en moi : pourquoi devrais-je tout perdre pour réparer ses erreurs ?
Au travail, je n’arrivais plus à me concentrer. Ma collègue Sophie a remarqué mon trouble :
— Ça va pas, Camille ?
— C’est compliqué… Ma famille me demande de céder mon appart à mon frère.
— Mais enfin ! Et toi dans tout ça ?
Sa réaction m’a fait du bien. Pour une fois, quelqu’un pensait à moi.
Un soir, j’ai croisé mon voisin, Monsieur Lefèvre, un vieux monsieur qui habite l’étage du dessous depuis trente ans.
— Vous avez l’air soucieuse, Camille.
— C’est rien… Des histoires de famille.
— Ah ! Les histoires de famille… On croit qu’on s’en sort jamais indemne.
Ses mots m’ont frappée. Peut-être avait-il raison.
Finalement, j’ai accepté de rencontrer Paul dans un café près de Denfert-Rochereau. Il avait l’air fatigué, vieilli.
— Camille… Je suis désolé de te mettre dans cette situation.
— Tu sais que ce n’est pas juste pour moi…
— Je sais… Mais je t’en supplie…
J’ai vu ses yeux humides et j’ai eu envie de hurler : pourquoi c’est toujours moi qui dois réparer les pots cassés ? Pourquoi personne ne voit mes blessures à moi ?
Je suis rentrée chez moi en pleurant toutes les larmes de mon corps.
Aujourd’hui encore, je ne sais pas quoi faire. Si je cède mon appartement, je perds tout ce que j’ai construit et je devrai retourner vivre chez mes parents en banlieue — là où je me suis juré de ne jamais revenir. Si je refuse, je deviens la méchante sœur égoïste aux yeux de tous.
Est-ce vraiment ça, être une bonne sœur ? Sacrifier son bonheur pour réparer les erreurs des autres ? Ou ai-je enfin le droit de penser à moi ?
Et vous… Qu’auriez-vous fait à ma place ?