Après la mort de mon père, j’ai mis à la porte sa compagne : suis-je vraiment un monstre ?

« Tu n’as pas le droit, Élodie ! » La voix de ma tante résonne encore dans le couloir froid de la maison, là où l’odeur du café froid se mêle à celle des fleurs fanées posées sur la table du salon. Je serre les clés dans ma main, mes jointures blanchies par la colère et la peur. Devant moi, assise sur le vieux canapé que mon père avait choisi avec elle, il y a quinze ans, se trouve Sylvie. Son regard est vide, ses mains tremblent. Je n’arrive pas à la regarder dans les yeux.

« C’est chez moi maintenant », je murmure, plus pour me convaincre que pour l’informer. Mon père est mort il y a deux semaines, emporté par une crise cardiaque soudaine. Depuis, tout le monde semble attendre que je prenne une décision. Mais pour moi, elle était prise depuis longtemps.

Quand maman est morte, j’avais dix ans. Elle s’appelait Claire, et elle était tout pour moi. Le cancer l’a emportée en quelques mois. Mon père, François, s’est effondré. Je l’ai vu sombrer dans une tristesse noire, puis, un an plus tard, Sylvie est arrivée. Elle n’a jamais cherché à prendre la place de maman, mais elle était là, dans la maison, dans la cuisine, dans le lit de mon père. J’avais treize ans et je la détestais déjà.

« Tu ne comprends pas, Élodie, ton père m’aimait… » Sylvie tente de se défendre, mais sa voix se brise. Je sens la colère monter en moi.

« Il t’aimait ? Et moi alors ? Tu as pensé à moi ? À ce que ça m’a fait de te voir ici, chaque matin, à préparer le café dans la tasse de maman ? »

Ma cousine, Camille, me prend le bras. « Tu vas trop loin… » Mais je me dégage. Personne ne comprend. Personne n’a vu mon père pleurer dans la chambre vide de maman. Personne n’a entendu les cris étouffés derrière la porte fermée.

Après la mort de papa, tout le monde s’est précipité pour organiser les funérailles, trier les papiers, vider les armoires. Mais moi, je n’ai pensé qu’à une chose : récupérer la maison. Celle où j’ai grandi, celle où maman a vécu ses derniers jours. Je ne pouvais pas laisser Sylvie y rester, pas après tout ce qu’elle avait « volé ».

Le notaire a été clair : la maison me revient. Papa n’a rien officialisé avec Sylvie. Pas de PACS, pas de testament en sa faveur. Elle n’a aucun droit. J’ai attendu quelques jours, puis je lui ai demandé de partir. Elle a supplié, pleuré, menacé. Mais j’ai tenu bon.

Ma famille s’est divisée. Certains me soutiennent, d’autres me traitent de sans-cœur. Ma grand-mère m’a dit : « Tu ressembles à ta mère, tu es forte. » Mais je sens que même elle doute parfois.

Les jours passent et la maison est vide. Je m’y promène la nuit, incapable de dormir. Je revois maman assise sur le balcon, papa qui rit dans la cuisine, et même Sylvie qui arrose les plantes. Je me demande si j’ai eu raison. Sylvie n’a nulle part où aller. Elle m’a écrit une lettre : « Je t’en supplie, laisse-moi un peu de temps. Je n’ai plus rien. »

Mais je n’ai pas répondu. Je me suis réfugiée dans le travail, dans les cartons à trier, dans les souvenirs à effacer. Un soir, Camille est venue me voir.

« Tu sais, Élodie, Sylvie n’est pas responsable de la mort de ta mère. »

Je me suis effondrée. J’ai pleuré comme jamais depuis l’enterrement. J’ai crié contre l’injustice, contre la vie qui m’a volé ma mère, contre mon père qui a refait sa vie trop vite, contre Sylvie qui n’a jamais été la bienvenue.

Aujourd’hui, la maison est à moi. Mais elle est froide, silencieuse. Je croyais que la justice me rendrait la paix. Mais je ne ressens que du vide.

Est-ce que j’ai eu raison ? Est-ce que la fidélité à la mémoire de ma mère justifie d’avoir brisé une autre vie ? Ou bien ai-je simplement laissé parler ma rancœur d’enfant blessée ?

Et vous, à ma place, qu’auriez-vous fait ? Peut-on vraiment tourner la page sans blesser personne ?