Apprendre à dire non : Comment les attentes familiales ont brisé notre rêve sur la Côte d’Azur

« Tu ne vas quand même pas me laisser dehors, Lucie ? » La voix de ma mère résonne encore dans l’entrée de notre appartement flambant neuf à Nice. Il est vingt-deux heures, la pluie martèle les volets, et je sens déjà mon cœur se serrer. Je regarde Paul, mon mari, qui détourne les yeux vers la baie vitrée, comme s’il espérait que la mer Méditerranée lui apporte une réponse.

Nous avions tout quitté pour ce rêve : Paris, le métro bondé, les soirées interminables au bureau. Nous avions choisi la Côte d’Azur pour respirer, pour vivre enfin. L’appartement, lumineux, avec vue sur la mer, était censé être notre refuge. Mais ce soir-là, tout bascule.

Ma mère pose sa valise dans le salon sans attendre mon accord. « Je n’en peux plus de Paris. Ici, au moins, il y a du soleil. » Elle s’installe sur le canapé, comme si elle avait toujours vécu là. Paul serre les dents. Je sens la colère monter en lui, mais il ne dit rien. Moi non plus. Je suis prise au piège entre l’amour filial et la promesse d’une vie nouvelle.

Les jours suivants, la tension devient palpable. Ma mère critique tout : la décoration trop moderne, le poisson trop cher au marché du Cours Saleya, le bruit des scooters sous nos fenêtres. Paul s’enferme de plus en plus dans le mutisme. Un soir, il explose : « Ta mère n’a pas le droit de s’imposer comme ça ! On n’a même pas eu le temps de s’installer ! »

Je me sens coupable. Coupable d’avoir voulu plaire à tout le monde. Coupable de ne pas savoir dire non. Ma sœur, Claire, m’appelle de Lyon : « Tu sais comment elle est… Elle ne changera jamais. » Mais moi, j’espérais qu’ici, loin de tout, nous pourrions recommencer.

Un matin, alors que je prépare le café, ma mère me lance : « Tu devrais penser à avoir un enfant maintenant que tu as quitté ton travail. » Sa phrase me transperce. Elle ne comprend pas que j’ai besoin de temps pour moi, pour nous. Paul quitte la pièce sans un mot.

Les disputes deviennent quotidiennes. Un soir, Paul claque la porte et ne rentre pas avant l’aube. Je reste seule avec ma mère qui ne voit rien ou fait semblant. Je me mets à pleurer en silence dans la salle de bains.

Un dimanche, alors que nous déjeunons sur la terrasse, ma mère annonce : « J’ai décidé de rester ici définitivement. » Je sens mon monde s’effondrer. Paul me regarde avec des yeux suppliants : « Lucie, il faut que tu choisisses. »

Je passe la nuit à tourner en rond dans l’appartement. Je repense à mon enfance à Bordeaux, aux sacrifices de ma mère après le départ de mon père. Mais aujourd’hui, c’est ma vie qui est en jeu.

Le lendemain matin, j’ose enfin affronter ma mère :
— Maman, tu ne peux pas rester ici indéfiniment. Ce n’est pas possible pour nous.
Elle me regarde comme si je venais de la trahir.
— Après tout ce que j’ai fait pour toi ?
Je sens mes jambes trembler.
— Justement… J’ai besoin de vivre ma vie maintenant.

Elle part le lendemain pour chez Claire à Lyon, sans un mot de plus.

Paul et moi restons là, hébétés. Le silence est lourd mais apaisant. Nous essayons de recoller les morceaux de notre rêve brisé.

Aujourd’hui encore, je me demande : pourquoi est-ce si difficile de dire non à ceux qu’on aime ? Est-ce égoïste de vouloir être heureux ? Qu’en pensez-vous ?