« Je ne suis plus votre nounou gratuite » – Confession d’une grand-mère française
« Tu peux venir chercher Léo à l’école, Maman ? Et n’oublie pas d’emmener Zoé à la danse. »
La voix de mon fils résonne dans le combiné, rapide, pressée, presque automatique. Je regarde l’horloge : 16h12. Je n’ai pas encore eu le temps de finir mon café, ni de lire la dernière page de mon roman. Mais je réponds, comme toujours : « Oui, bien sûr. »
Je m’appelle Françoise, j’ai soixante-huit ans et je vis à Lyon. Depuis la naissance de mes petits-enfants, Léo et Zoé, je suis devenue la nounou attitrée de la famille. C’est venu naturellement, au début. J’aimais les garder, sentir leurs bras autour de mon cou, entendre leurs rires dans l’appartement. Mais les années ont passé, et ce qui était un plaisir est devenu une obligation.
Un jeudi de novembre, tout a explosé. J’étais fatiguée, courbaturée par une mauvaise nuit. Zoé avait fait une crise parce qu’elle ne voulait pas mettre son manteau, Léo avait oublié son sac de sport chez son copain. J’ai couru partout, j’ai préparé le goûter, j’ai géré les devoirs. À 19h30, mon fils Paul et sa femme Camille sont arrivés, souriants mais distraits.
« Merci Maman, t’es un amour ! On est crevés… On file se doucher ? »
Ils sont montés à l’étage sans même me demander comment j’allais. J’ai senti une boule monter dans ma gorge. Je suis restée là, debout dans la cuisine, entourée de miettes et de jouets éparpillés.
Le lendemain matin, j’ai appelé ma sœur Marie.
— Tu sais, j’en peux plus… J’ai l’impression d’être leur bonne.
— Dis-leur ! Tu as le droit de vivre aussi, Françoise.
Mais comment dire non à ses enfants ? Comment leur avouer qu’on se sent usée, transparente ?
Le samedi suivant, Paul m’a appelée :
— Dis, tu pourrais garder les enfants ce week-end ? Camille et moi on voudrait partir à Annecy.
J’ai respiré profondément. Mon cœur battait fort.
— Non, Paul. Je ne peux pas. J’ai besoin de temps pour moi.
Un silence glacial a traversé la ligne.
— Mais… Maman, tu sais qu’on compte sur toi !
— Justement. J’ai besoin que tu comprennes que je ne suis pas qu’une nounou. J’ai aussi envie de profiter de ma retraite, de voir mes amies, de voyager…
Il a raccroché sans un mot de plus.
Le soir même, Camille m’a envoyé un message sec : « On aurait aimé que tu nous préviennes avant. »
J’ai pleuré longtemps ce soir-là. Pas seulement pour moi, mais pour toutes ces femmes qui donnent tout sans jamais rien demander. Pour toutes celles qui deviennent invisibles dès qu’elles ne sont plus « utiles ».
Les jours suivants ont été tendus. Paul ne m’appelait plus. Les enfants me manquaient terriblement. J’ai hésité mille fois à rappeler, à m’excuser même si je savais que je n’avais rien fait de mal.
Un dimanche matin, alors que je faisais le marché avec Marie, je l’ai croisée : une autre grand-mère du quartier, Odile.
— Tu sais Françoise, moi aussi j’ai dit stop un jour. Ils ont râlé au début… puis ils ont compris. On n’est pas éternelles !
Ses mots m’ont réchauffée. Peut-être que j’avais raison d’imposer mes limites.
Deux semaines plus tard, Paul est venu sonner chez moi avec Léo et Zoé.
— Maman… Je suis désolé. On n’a pas réalisé à quel point on te demandait trop. On t’aime tu sais.
Zoé s’est jetée dans mes bras :
— Mamie, tu viens jouer avec nous ?
J’ai souri à travers mes larmes.
— Oui, mais cette fois c’est moi qui choisis le jeu !
Depuis ce jour-là, tout a changé. Je garde encore mes petits-enfants parfois, mais selon MES envies et MES disponibilités. J’ai repris la peinture, je pars en week-end avec mes amies du club de lecture. J’existe à nouveau pour moi-même.
Mais parfois je me demande : pourquoi faut-il attendre d’être au bord du gouffre pour oser dire non ? Pourquoi tant de femmes acceptent-elles de s’effacer pour leur famille ? Et vous… avez-vous déjà eu peur de décevoir ceux que vous aimez en pensant enfin à vous-même ?