Été à la Côte d’Opale : Une Mère, une Fille et l’Ombre du Passé
— Tu comptes vraiment me laisser dehors ?
La voix de ma mère, sèche, résonne dans le couloir étroit de la location. Je serre la poignée de la porte, mon cœur tambourine. Derrière moi, Camille, ma fille de huit ans, me regarde avec ses grands yeux inquiets. Je n’ai pas vu ma mère depuis trois ans. Trois ans de silence, de rancœur, de distance soigneusement entretenue. Et voilà qu’elle débarque, valise à la main, sur le pas de notre maison de vacances à Wimereux, comme si rien ne s’était passé.
Je me revois, adolescente, hurlant dans cette même voix rauque : « Tu ne comprends rien ! » Mais aujourd’hui, c’est moi la mère. Et je ne sais pas quoi faire.
— Entre, dis-je finalement, la gorge serrée.
Elle s’installe dans le salon, pose sa valise près du canapé. L’odeur de la mer entre par la fenêtre entrouverte. Camille s’approche d’elle avec prudence.
— Mamie ? Tu restes longtemps ?
Ma mère esquisse un sourire fatigué. Je sens la tension dans l’air, épaisse comme le brouillard du matin sur la plage.
Le soir tombe. Je prépare des pâtes en silence. Ma mère feuillette un magazine, Camille dessine des coquillages. Je voudrais que tout soit simple. Mais les souvenirs affluent : les disputes, les absences, les promesses non tenues. Je me souviens de ce Noël où elle était partie sans prévenir, me laissant seule avec mon père alcoolique. Je me souviens de ses retours soudains, de ses départs précipités.
Après le dîner, elle me rejoint sur la terrasse.
— Tu m’en veux encore ?
Je détourne les yeux vers l’horizon, là où le ciel se fond dans la mer.
— Je ne sais pas… Peut-être que oui. Peut-être que non. J’essaie juste de protéger Camille.
Elle soupire.
— Tu crois que je n’ai pas essayé de te protéger, toi aussi ?
Je sens mes larmes monter. J’ai envie de crier : « Tu as échoué ! » Mais je me tais. Le silence est plus lourd que n’importe quel reproche.
Les jours passent. Ma mère reste. Elle propose d’emmener Camille à la plage pendant que je fais les courses. Je les observe marcher sur le sable, main dans la main. Un mélange d’envie et de colère me serre la poitrine. Pourquoi n’a-t-elle pas été cette grand-mère pour moi ? Pourquoi maintenant ?
Un soir, alors que Camille dort déjà, je craque.
— Pourquoi tu es venue ?
Ma mère s’assied en face de moi. Elle cherche ses mots.
— J’ai eu peur… Peur que tu m’oublies complètement. Peur que Camille ne sache jamais qui je suis vraiment.
Je ris nerveusement.
— Et tu crois qu’il suffit de débarquer pour tout réparer ?
Elle baisse la tête.
— Non. Mais je voulais essayer. J’ai fait beaucoup d’erreurs… Avec toi, avec ton père… J’étais jeune, paumée…
Je sens sa sincérité mais aussi toute sa maladresse. Je repense à mon propre rôle de mère : mes colères contre Camille quand elle me pousse à bout, mes absences quand le travail m’engloutit… Suis-je si différente d’elle ?
Le lendemain matin, Camille tombe en pleurant sur le sable mouillé : elle s’est écorché le genou. Ma mère se précipite vers elle, la prend dans ses bras, souffle doucement sur la plaie en murmurant des mots tendres. Je reste figée quelques secondes avant d’accourir à mon tour.
— Ça va aller, ma chérie…
Camille me regarde puis se blottit contre moi et sa grand-mère à la fois. Ce contact me bouleverse plus que je ne veux l’admettre.
Le dernier soir avant notre départ, nous marchons toutes les trois sur la digue illuminée par les lampadaires jaunes. Ma mère s’arrête soudain.
— Je ne veux pas partir sans te dire pardon.
Je sens sa main trembler dans la mienne.
— Je ne sais pas si je peux te pardonner tout de suite… Mais je veux essayer. Pour Camille. Pour nous.
Elle sourit à travers ses larmes.
Sur le chemin du retour, Camille saute dans les flaques en riant. Je regarde ma mère et je me demande : peut-on vraiment échapper à l’ombre du passé ? Ou sommes-nous condamnées à répéter les mêmes erreurs ?
Et vous… avez-vous déjà eu peur d’être une mère comme la vôtre ?