« Pourquoi c’est toujours moi qui paie ? » – Confession d’une Française sur l’argent dans le couple
« Tu as encore oublié ta carte bleue, Julien ? » Ma voix tremble à peine, mais je sens la colère monter. Nous sommes au restaurant, un samedi soir comme tant d’autres à Paris, et une fois de plus, c’est moi qui tends ma carte bancaire au serveur. Julien détourne les yeux, gêné. « Désolé, Claire… Je te rembourse demain, promis. » Mais demain n’arrive jamais.
Je m’appelle Claire, j’ai 32 ans, et depuis trois ans, je vis avec Julien dans un petit appartement du 11ème arrondissement. Au début, tout était simple : on partageait tout, du pain au sourire. Mais peu à peu, j’ai commencé à remarquer que c’était toujours moi qui payais. Les courses chez Franprix ? C’est moi. Les factures EDF ? Encore moi. Les billets de train pour aller voir ses parents à Lyon ? Devinez…
Au début, j’ai cru à une coïncidence. Julien venait de perdre son emploi dans une start-up tech, il cherchait du travail. Je gagnais bien ma vie comme graphiste freelance, alors j’ai pris sur moi. Mais les mois ont passé. Julien a retrouvé un poste – pas aussi bien payé qu’avant, certes – mais il n’a jamais proposé de participer aux dépenses. Il a toujours une excuse : « Ce mois-ci, j’ai eu des frais imprévus », « Je te rembourse dès que ma paie tombe », « On fait les comptes plus tard ». Mais les comptes ne se font jamais.
Ma mère, Françoise, me répète sans cesse : « Claire, tu n’es pas sa mère ! » Elle a raison. Mais comment lui dire ? Comment aborder ce sujet sans déclencher une dispute ? J’ai essayé d’en parler calmement un soir :
— Julien, tu trouves ça normal que je paie tout ?
— Tu sais bien que je galère en ce moment…
— Mais tu ne fais même pas l’effort de proposer !
Il s’est vexé. Il a claqué la porte de la chambre et n’a pas parlé pendant deux jours. J’ai culpabilisé. Peut-être suis-je trop exigeante ? Peut-être qu’aimer, c’est aussi accepter les faiblesses de l’autre ?
Mais la réalité me rattrape chaque fin de mois quand je regarde mon compte en banque. Je me prive de petits plaisirs pour deux. Je mens à mes amis quand ils me proposent un week-end à la mer : « Je ne peux pas, trop de boulot », alors que c’est juste que je n’ai plus les moyens.
Un soir d’hiver, j’ai surpris une conversation entre Julien et son ami Thomas :
— Franchement, t’as de la chance avec Claire !
— Ouais… Elle gère tout, c’est pratique.
J’ai eu envie de hurler. Pratique ? Suis-je devenue une solution de facilité ?
Les disputes se sont multipliées. Un dimanche matin, alors que je préparais le café, il a lancé :
— Tu fais toujours des histoires pour l’argent !
— Parce que c’est toujours moi qui paie !
— Tu gagnes plus que moi, non ?
— Et alors ? Ce n’est pas une raison pour profiter !
Il a haussé les épaules et s’est enfermé dans la salle de bain. J’ai pleuré en silence.
Ma sœur Marion m’a proposé de venir passer quelques jours chez elle à Nantes pour prendre du recul. Là-bas, j’ai retrouvé un peu de paix. Elle m’a raconté ses propres galères avec son ex-mari qui refusait de partager les frais des enfants. « On croit que l’amour suffit… Mais l’argent révèle beaucoup sur l’autre », m’a-t-elle dit.
De retour à Paris, j’ai décidé d’imposer un budget commun. J’ai imprimé nos relevés bancaires et tout mis sur la table.
— Julien, il faut qu’on parle sérieusement.
— Encore ? Tu veux vraiment qu’on fasse les comptes comme des colocataires ?
— Oui. Parce que là, je me sens seule dans ce couple.
Il a soupiré longuement. Puis il a admis qu’il n’avait jamais appris à gérer son argent – chez lui, sa mère faisait tout pour son père et ses frères. « Je croyais que c’était normal… »
J’ai compris alors que ce n’était pas seulement une question d’argent mais d’éducation, de modèles familiaux ancrés depuis l’enfance. Mais est-ce à moi de tout réparer ?
Nous avons essayé d’instaurer un virement automatique chaque mois pour les dépenses communes. Ça a tenu deux mois. Puis Julien a arrêté sans prévenir.
Aujourd’hui, je suis fatiguée. Fatiguée d’être la seule adulte dans cette histoire. Fatiguée d’aimer pour deux.
Parfois je me demande : est-ce que l’amour peut survivre à l’injustice quotidienne ? Est-ce que le partage financier est vraiment un tabou en France ou juste dans mon couple ? Et vous, jusqu’où seriez-vous prêts à aller par amour avant de dire stop ?