Ma mère refuse de m’aider : le combat d’une mère célibataire à Lyon

— Tu ne peux pas me demander ça, Camille. J’ai déjà assez donné pour toi, tu comprends ?

La voix de ma mère résonne encore dans ma tête, froide et tranchante. Je serre le combiné du téléphone si fort que mes jointures blanchissent. Il est 7h12 du matin, je suis déjà en retard pour déposer Léa et Hugo à l’école, et mon patron m’a prévenue : un retard de plus et je perds mon poste à la boulangerie. Je regarde mes enfants, encore en pyjama, les yeux gonflés de sommeil. Mon cœur se serre.

Depuis l’accident de Paul, tout s’est effondré. Il y a six mois, il est parti travailler comme chaque matin, un baiser sur le front, un sourire fatigué. Une heure plus tard, la police frappait à ma porte. Depuis, je vis dans une sorte de brouillard, chaque geste me coûte une énergie folle. Mais je n’ai pas le choix : il faut avancer.

Ma mère habite à quinze minutes de chez moi, à la Croix-Rousse. Elle est retraitée, en bonne santé, mais elle refuse catégoriquement de garder ses petits-enfants. « J’ai élevé mes propres enfants seule, maintenant c’est ton tour », répète-t-elle sans cesse. Je ne comprends pas cette dureté. N’a-t-elle jamais eu peur, elle aussi ? N’a-t-elle jamais eu besoin d’aide ?

— Maman, s’il te plaît… Je vais perdre mon travail si tu ne viens pas ce matin. Juste une heure, le temps que je trouve une solution…

— Non Camille. Je ne veux plus être mêlée à tes histoires. Tu dois apprendre à te débrouiller.

Je raccroche, les larmes aux yeux. Léa me regarde sans comprendre.

— Maman, pourquoi mamie ne veut jamais venir ?

Je n’ai pas de réponse. Je me sens minuscule, impuissante. J’enfile en vitesse des vêtements à mes enfants, je leur donne un biscuit chacun et je les traîne jusqu’à l’école. Sur le chemin, Hugo trébuche et se met à pleurer. Je m’accroupis pour le consoler mais je sens la colère monter en moi : contre Paul qui n’est plus là, contre ma mère qui me laisse tomber, contre cette vie qui me broie.

À la boulangerie, je fais semblant de sourire aux clients. Mon patron, Monsieur Lefèvre, me lance un regard noir.

— Encore en retard, Camille… Ce n’est plus possible.

Je baisse la tête. Je sais qu’il a raison mais je ne peux rien faire. Les journées s’enchaînent ainsi : courir partout, oublier de manger, oublier de dormir. Les factures s’accumulent sur la table du salon. Je reçois des lettres de relance pour le loyer, l’électricité. Parfois je me demande comment font les autres mères seules.

Un soir, alors que je couche les enfants, Léa me demande :

— Tu es triste parce que papa est parti ?

Je la serre fort contre moi.

— Oui mon cœur… Mais je suis surtout triste parce que j’ai l’impression d’être seule.

Elle pose sa petite main sur ma joue.

— Mais tu nous as nous !

Je souris malgré moi. Oui, j’ai mes enfants. Mais est-ce suffisant ?

Un dimanche après-midi, je décide d’aller voir ma mère. Je frappe à sa porte avec Hugo dans les bras et Léa qui traîne derrière moi.

— Qu’est-ce que tu fais là ?

Elle ouvre à peine la porte.

— Maman… J’ai besoin de toi. Juste une fois. Je suis épuisée…

Elle soupire et détourne le regard.

— Tu crois que c’était facile pour moi quand ton père est parti ? J’ai travaillé jour et nuit pour vous nourrir toi et ta sœur. Personne ne m’a aidée.

— Mais pourquoi tu refuses de m’aider ? Pourquoi tu veux que je souffre comme toi ?

Elle reste silencieuse un moment puis referme la porte doucement.

Je rentre chez moi anéantie. Cette nuit-là, je ne dors pas. Je repense à mon enfance : ma mère toujours absente, fatiguée, dure. Peut-être qu’elle ne sait pas aimer autrement ? Peut-être qu’elle croit vraiment m’aider en me laissant seule ?

Les semaines passent. Un matin, alors que je dépose Hugo chez une voisine qui accepte de me dépanner pour quelques euros, je croise ma mère au marché. Elle fait semblant de ne pas me voir. Je sens la honte monter en moi : suis-je une mauvaise fille ? Une mauvaise mère ?

Un soir d’hiver, alors que je n’ai plus rien dans le frigo et que la banque menace de saisir mon compte, je craque devant mes enfants.

— Je suis désolée… Je n’y arrive plus…

Léa vient me serrer dans ses bras.

— On va s’en sortir maman…

C’est elle qui me donne la force de continuer. Je commence à chercher une aide sociale à la mairie du 4ème arrondissement. Une assistante sociale m’écoute enfin sans juger.

— Vous n’êtes pas seule Camille. Beaucoup de femmes vivent ce que vous traversez.

Elle m’aide à obtenir une aide pour la garde d’enfants et un soutien psychologique. Petit à petit, je remonte la pente. Je trouve un emploi mieux payé dans une cantine scolaire avec des horaires adaptés aux enfants.

Un jour, ma mère m’appelle enfin.

— Camille… Est-ce que tu veux venir dîner dimanche ?

Sa voix tremble un peu. J’accepte sans savoir si j’en ai vraiment envie ou si c’est juste par besoin d’apaisement.

Chez elle, le repas est tendu au début puis Léa raconte une blague et tout le monde éclate de rire. Ma mère pose sa main sur la mienne.

— Tu es forte Camille… Je suis fière de toi.

Je retiens mes larmes. Peut-être qu’elle a compris ? Peut-être qu’on peut enfin se pardonner ?

Aujourd’hui encore, il y a des jours où tout semble trop lourd. Mais j’avance pour mes enfants et pour moi-même.

Est-ce qu’on peut vraiment se reconstruire quand on a été brisée par ceux qu’on aime ? Est-ce que le pardon suffit à réparer les blessures du passé ? Qu’en pensez-vous ?