Il m’a quittée au neuvième mois de grossesse… Trois ans plus tard, il est revenu en suppliant mon pardon
« Tu ne comprends pas, Camille, je n’y arrivais plus ! »
La voix de Julien résonne encore dans l’entrée de mon petit appartement à Montreuil. Il est là, devant moi, les yeux rougis, les mains tremblantes. Trois ans sans nouvelles, trois ans à me demander comment il avait pu me laisser seule, enceinte jusqu’aux yeux, alors que j’avais tant besoin de lui. Trois ans à me débrouiller avec les couches, les nuits blanches, les factures qui s’accumulent et la solitude qui me ronge.
Je me souviens de ce soir-là comme si c’était hier. J’étais assise sur le canapé, une main sur mon ventre énorme, l’autre serrant mon téléphone. Julien tournait en rond dans le salon. Il n’arrêtait pas de répéter : « Je ne suis pas prêt. Je ne peux pas. » Je croyais à une crise passagère. Mais il a pris son manteau, claqué la porte et disparu dans la nuit glaciale de février. J’ai hurlé son nom, mais il n’est jamais revenu.
Les jours qui ont suivi ont été un cauchemar. Ma mère, Françoise, est venue s’installer chez moi pour m’aider. Elle ne cessait de marmonner : « Les hommes sont tous les mêmes… » Mais je voyais bien qu’elle souffrait aussi pour moi. Quand j’ai accouché de Louise, seule dans cette chambre d’hôpital impersonnelle, j’ai cru mourir de chagrin. J’aurais voulu que Julien soit là pour voir sa fille ouvrir les yeux pour la première fois.
Les premiers mois ont été un combat quotidien. Je me suis battue pour garder mon travail à la mairie, jonglant entre les horaires décalés et les rendez-vous chez la pédiatre. Je n’avais pas le droit de craquer. Pour Louise. Pour moi aussi, peut-être. Les nuits étaient longues et silencieuses, rythmées par les pleurs de ma fille et mes propres sanglots étouffés dans l’oreiller.
Petit à petit, j’ai appris à vivre sans lui. J’ai rencontré d’autres mamans au parc, j’ai repris goût aux petites choses : un café partagé avec ma voisine Sophie, un sourire échangé avec le boulanger du coin. Louise grandissait, belle et vive, avec ses grands yeux curieux et son rire qui illuminait mes journées.
Mais au fond de moi, une blessure restait ouverte. Pourquoi m’avait-il abandonnée ? Pourquoi n’avait-il pas eu le courage d’affronter la réalité avec moi ?
Et puis ce matin-là, tout a basculé. J’ouvrais la porte pour partir déposer Louise à la crèche quand je l’ai vu sur le palier. Julien. Amaigri, mal rasé, le regard perdu. Il a bredouillé : « Camille… Je sais que je n’ai pas le droit… Mais laisse-moi t’expliquer… »
Louise s’est cachée derrière mes jambes. Elle ne connaissait pas cet homme qui prétendait être son père.
Nous nous sommes assis dans la cuisine. Il a parlé longtemps, la voix brisée par les sanglots. Il m’a raconté sa fuite, sa honte, ses nuits d’angoisse dans une chambre minable à Lyon où il s’était réfugié chez un cousin. Il disait qu’il avait eu peur de ne pas être à la hauteur, peur de devenir comme son propre père qui avait abandonné sa famille quand il était enfant.
« Je t’ai vue forte, Camille… Trop forte pour moi. J’ai eu peur d’être inutile… »
J’avais envie de le gifler et de le prendre dans mes bras en même temps. Toute cette douleur accumulée en trois ans remontait à la surface.
Ma mère est arrivée sans prévenir. Elle a trouvé Julien assis dans la cuisine et a explosé : « Tu oses revenir ici après tout ce que tu as fait ? »
Julien s’est levé d’un bond : « Madame Martin… Je sais que je ne mérite pas votre pardon ni celui de Camille… Mais je veux connaître ma fille… Je veux réparer ce que j’ai brisé… »
Françoise a croisé les bras : « On ne répare pas si facilement trois ans d’absence ! »
Louise est entrée dans la pièce avec son doudou serré contre elle. Elle a regardé Julien avec curiosité puis s’est tournée vers moi : « Maman, c’est qui le monsieur ? »
J’ai senti mon cœur se serrer. Comment expliquer à une enfant de trois ans que son père vient juste de réapparaître ?
Les jours suivants ont été un tourbillon d’émotions contradictoires. Julien voulait voir Louise tous les jours. Il lui apportait des livres, des peluches, essayait maladroitement de rattraper le temps perdu. Parfois elle riait avec lui ; parfois elle se réfugiait dans mes bras en pleurant.
Ma mère me répétait : « Ne lui fais pas confiance ! Il recommencera… » Mais je voyais bien que Julien avait changé. Il était brisé par la culpabilité, prêt à tout pour regagner notre confiance.
Un soir, alors que Louise dormait enfin après avoir fait un cauchemar — elle rêvait que je disparaissais — Julien m’a regardée droit dans les yeux : « Camille… Je t’aime encore. Je sais que c’est trop demander mais… Donne-moi une seconde chance. Pour nous trois. »
J’ai éclaté en sanglots. Tout ce que j’avais enfoui depuis trois ans remontait : la colère, la tristesse, l’espoir aussi.
« Comment veux-tu que je te fasse confiance ? Comment veux-tu que je protège Louise si tu pars encore ? »
Il a pris ma main : « Je ne partirai plus jamais. Je te le jure sur ma vie… »
Mais les promesses suffisent-elles ? Peut-on vraiment pardonner une telle trahison ? Est-ce égoïste de vouloir protéger mon cœur avant tout ? Ou dois-je penser avant tout au bonheur de ma fille qui mérite de connaître son père ?
Je regarde Louise dormir paisiblement et je me demande :
« Peut-on vraiment reconstruire ce qui a été brisé ? Et vous… auriez-vous su pardonner ? »