« Je ne suis pas qu’une femme de ménage ! » – Mon combat pour le respect et mes rêves dans mon mariage avec Marc
« Tu pourrais au moins passer l’aspirateur avant que mes parents arrivent, non ? » La voix de Marc résonne dans la cuisine, sèche, tranchante. Je serre la poignée du balai si fort que mes jointures blanchissent. Il ne me regarde même pas. Il attrape sa veste, claque la porte et me laisse seule avec la vaisselle sale et le silence pesant de notre appartement à Lyon.
Je m’appelle Claire, j’ai 38 ans, et depuis douze ans, je vis avec Marc. Nous avons deux enfants, Camille et Paul. Je travaille à mi-temps dans une petite librairie du quartier, mais à la maison, c’est comme si mon emploi n’existait pas. Pour Marc, je suis « la femme », celle qui doit tout gérer, tout prévoir, tout nettoyer. J’ai longtemps cru que c’était normal. Que c’était ça, être une bonne épouse en France : se sacrifier pour les autres, sourire même quand on s’efface.
Mais ce matin-là, alors que je frotte machinalement la table, une colère sourde monte en moi. Je repense à mes rêves d’étudiante – devenir écrivaine, voyager, ouvrir un café littéraire… Où sont-ils passés ? Je me revois à la fac de lettres à Grenoble, passionnée par les mots et les idées. Aujourd’hui, je n’écris plus que des listes de courses.
Le soir, Marc rentre tard. Il pose son sac sur la chaise, allume la télé sans un mot. J’hésite, puis je m’assieds en face de lui.
— Marc, tu pourrais m’aider un peu plus à la maison ?
Il soupire, lève les yeux au ciel.
— Tu sais bien que je travaille beaucoup plus que toi. Et puis tu es plus douée pour ça…
Je sens les larmes monter mais je refuse de pleurer devant lui.
— Ce n’est pas une question de talent ! J’ai aussi besoin de temps pour moi. Pour écrire… ou juste souffler.
Il hausse les épaules.
— Tu dramatises toujours tout.
Cette phrase me transperce. Je me lève brusquement et quitte la pièce. Dans la chambre, j’étouffe. Je pense à mes enfants : Camille qui me demande pourquoi papa ne met jamais la table ; Paul qui croit que c’est « normal » que maman fasse tout.
Le lendemain matin, je décide de parler à ma mère. Elle habite à Annecy et a connu un autre temps, mais elle comprend vite ma détresse.
— Tu sais, Claire, moi aussi j’ai vécu ça avec ton père. Mais j’ai fini par m’oublier complètement… Ne fais pas la même erreur.
Ses mots résonnent en moi comme un avertissement. Le soir venu, alors que Marc regarde un match de foot avec Paul, je sors mon vieux carnet à spirales. J’écris. Je couche sur le papier tout ce que je ressens : la fatigue, l’injustice, le manque d’écoute. Les mots coulent comme une rivière trop longtemps retenue.
Les jours suivants, j’ose dire non. Non à la vaisselle systématique après le dîner ; non à l’idée que mon temps vaut moins que celui de Marc. Il râle, il boude. Mais je tiens bon.
Un soir, alors que je rentre de la librairie, Camille m’attend sur le canapé.
— Maman… Pourquoi tu pleures souvent ?
Je m’assieds près d’elle et prends sa main.
— Parce que parfois, maman se sent invisible. Mais tu sais quoi ? Je vais changer ça.
Elle me serre fort dans ses bras. Ce geste me donne du courage.
Je décide d’aller voir une conseillère conjugale du centre social du quartier Croix-Rousse. J’y rencontre d’autres femmes : Fatima, qui élève seule ses trois enfants ; Sophie, dont le mari refuse qu’elle travaille ; Hélène, qui rêve d’ouvrir une pâtisserie mais n’ose pas en parler chez elle. Nous partageons nos histoires autour d’un café tiède et de biscuits faits maison. Pour la première fois depuis longtemps, je me sens comprise.
La conseillère nous encourage à organiser une réunion familiale pour parler des tâches ménagères. J’en parle à Marc un dimanche matin.
— Tu veux vraiment qu’on fasse ça ? demande-t-il d’un ton agacé.
— Oui. Pour moi. Pour nous tous.
Il finit par accepter. Ce soir-là, nous nous asseyons tous les quatre autour de la table du salon. J’explique calmement ce que je ressens : la charge mentale, le manque de reconnaissance, l’épuisement. Camille propose de vider le lave-vaisselle deux fois par semaine ; Paul promet d’aider à mettre la table.
Marc reste silencieux longtemps. Puis il murmure :
— Je ne savais pas que tu souffrais autant…
Ce n’est pas une victoire éclatante mais c’est un début. Les semaines suivantes sont chaotiques : Marc oublie souvent ses nouvelles « missions », les enfants râlent parfois. Mais petit à petit, quelque chose change dans l’air de notre appartement.
Je recommence à écrire chaque soir. J’envoie un texte à un concours littéraire local – sans trop y croire. Un mois plus tard, je reçois un mail : mon texte a été sélectionné pour être lu lors d’une soirée à la médiathèque municipale !
Le soir venu, Marc et les enfants sont là dans le public. Quand je monte sur scène pour lire mon histoire – celle d’une femme qui refuse d’être invisible – j’aperçois des larmes dans les yeux de Camille et un sourire timide sur le visage de Marc.
En rentrant à la maison ce soir-là, Marc me prend la main.
— Je suis désolé… Je ne voyais pas tout ça avant.
Je ne sais pas si tout changera du jour au lendemain. Mais j’ai retrouvé ma voix – et peut-être aussi un peu de respect.
Parfois je me demande : combien sommes-nous en France à vivre ce sentiment d’invisibilité ? Est-ce qu’on peut vraiment changer les choses quand on ose enfin dire « non » ? Qu’en pensez-vous ?