Sous l’emprise de ma belle-mère : le prix du silence

« Camille, tu n’as pas mis assez de sel dans la soupe. »

La voix de Monique résonne dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la louche entre mes doigts, tentant de masquer le tremblement qui me parcourt. Antoine, mon mari, baisse les yeux sur son assiette. Il ne dit rien. Comme d’habitude.

Depuis trois ans que nous sommes mariés, Monique s’est installée dans notre quotidien comme une ombre pesante. Elle habite à deux rues de chez nous, à Lyon, et trouve toujours une excuse pour passer : « Je venais juste déposer des œufs », « J’ai fait un gratin pour vous », « Je voulais voir si tout allait bien ». Mais derrière chaque visite se cache un jugement, une remarque, une critique voilée.

Je me souviens du premier dimanche où elle a débarqué à l’improviste. J’étais encore en pyjama, les cheveux en bataille. Elle a levé un sourcil : « Tu reçois ainsi ? Chez nous, on se tient toujours présentable. » J’ai ri nerveusement, pensant qu’elle plaisantait. Mais non. Depuis ce jour, j’ai compris que rien ne lui échappait.

Les repas de famille sont devenus un supplice. Monique s’assoit en bout de table, distribue les compliments à ses fils et les reproches à moi. « Antoine a toujours aimé les plats bien relevés, tu sais », ou encore : « Tu devrais repasser ses chemises comme je le faisais ». Parfois, elle me regarde droit dans les yeux et dit : « Tu sais, il n’est pas trop tard pour apprendre à faire une vraie blanquette. »

Antoine tente parfois de me défendre :
— Maman, laisse Camille tranquille.
Mais elle soupire, lève les yeux au ciel :
— Je veux juste t’aider à être heureuse dans ton couple.

Le pire, c’est que tout le monde autour de moi trouve cela normal. Ma propre mère me dit : « C’est comme ça avec les belles-mères, il faut faire avec. » Mes amies haussent les épaules : « Au moins, elle s’occupe de vous ! » Mais personne ne voit la fatigue qui me ronge, la colère qui monte chaque soir où je dois sourire alors que j’ai envie de hurler.

Un soir d’hiver, alors que la neige tombait sur les toits de la Croix-Rousse, Monique est arrivée sans prévenir. J’étais en train de finir un dossier pour mon travail d’architecte. Elle a poussé la porte du salon :
— Tu travailles encore ? Antoine va finir par se sentir seul.
Je me suis levée brusquement :
— Monique, j’ai besoin de finir ce projet ce soir.
Elle a souri doucement :
— Une femme doit savoir faire passer sa famille avant tout.

J’ai senti les larmes monter. Antoine est resté figé devant la télévision. J’ai eu envie de tout casser.

Les mois ont passé. Monique a commencé à critiquer ma façon d’élever notre fille, Chloé. « Elle ne doit pas manger autant de chocolat », « Tu la couches trop tard », « À mon époque, on ne laissait pas les enfants répondre ». Un jour, elle a même giflé Chloé parce qu’elle avait renversé son verre d’eau. J’ai hurlé :
— Ne touchez plus jamais à ma fille !
Monique a fondu en larmes devant Antoine :
— Ta femme me manque de respect !
Antoine m’a prise à part :
— Tu pourrais faire un effort… C’est ma mère.

J’ai compris alors que je n’aurais jamais sa protection. J’étais seule face à cette femme qui voulait tout contrôler.

J’ai commencé à faire des crises d’angoisse. Je dormais mal, je pleurais en cachette dans la salle de bains. Un matin, je n’ai pas réussi à me lever. Mon corps disait stop. Mon médecin m’a arrêtée deux semaines pour épuisement.

C’est là que j’ai pris conscience que je devais réagir. J’ai cherché du soutien auprès d’une psychologue qui m’a dit : « Vous avez le droit de poser vos limites. » Mais comment faire quand toute une famille vous regarde comme si vous étiez le problème ?

Un dimanche midi, alors que Monique critiquait encore mon gratin dauphinois devant toute la famille réunie, j’ai posé ma fourchette et j’ai dit calmement :
— Monique, je ne suis pas ta servante. Si tu n’es pas contente, tu peux cuisiner toi-même ou ne plus venir.
Un silence glacial est tombé sur la table. Antoine m’a regardée comme si je venais de gifler sa mère.
Monique s’est levée et a quitté la pièce en claquant la porte.

Après ce jour-là, plus rien n’a été pareil. Antoine m’en a voulu. Il est devenu distant. Monique a cessé de venir aussi souvent mais elle appelait chaque soir pour se plaindre à son fils.

J’ai cru que j’allais perdre mon couple. Mais pour la première fois depuis des années, je me suis sentie libre de respirer chez moi.

Aujourd’hui encore, rien n’est simple. Les repas de famille sont tendus. Antoine et moi suivons une thérapie de couple pour apprendre à poser des limites ensemble. Chloé va mieux ; elle rit à nouveau sans crainte d’être grondée pour un rien.

Parfois je me demande : pourquoi tant de femmes doivent-elles choisir entre leur couple et leur dignité ? Est-ce normal qu’en France aujourd’hui, on attende encore des belles-filles qu’elles se taisent et supportent tout ? Qu’en pensez-vous ?