Ma fille attend un enfant, et mon gendre veut donner notre maison à sa mère : jusqu’où irais-je pour protéger ma famille ?

— Tu ne comprends pas, maman, c’est juste une formalité, me dit Camille en évitant mon regard, ses mains posées sur son ventre arrondi.

Je serre la tasse de café entre mes doigts tremblants. La lumière grise de ce matin d’automne filtre à travers les rideaux de la cuisine. Je sens la tension dans l’air, presque palpable. Depuis que Julien a parlé de mettre la maison au nom de sa mère, je dors mal. Je tourne en rond dans mon petit appartement HLM de Montreuil, le cœur serré par l’inquiétude.

— Une formalité ? Camille, tu es enceinte ! Et si jamais il t’arrivait quelque chose ? Et si… si Julien changeait d’avis ?

Elle soupire, lasse. Je vois bien qu’elle est fatiguée. Sa grossesse n’est pas facile, et elle doit encore s’occuper de Léa, leur petite de trois ans. Mais comment pourrais-je rester silencieuse ?

Tout a commencé il y a deux mois. Camille et Julien cherchaient une maison plus grande. J’ai proposé de les aider : j’ai vendu mon petit héritage, mis toutes mes économies pour qu’ils puissent avoir un apport suffisant. On a visité ensemble cette jolie maison à Noisy-le-Grand, avec un jardin où Léa pourrait jouer. J’étais heureuse de pouvoir offrir ça à ma fille.

Mais voilà que Julien débarque un soir, le visage fermé :

— Ma mère pourrait être propriétaire officielle. Pour des raisons fiscales…

J’ai cru m’étouffer. Sa mère, Madame Dupuis, n’a jamais caché qu’elle trouvait Camille « trop rêveuse », « pas assez organisée ». Elle ne m’a jamais adressé la parole autrement qu’avec froideur. Et maintenant, c’est elle qui détiendrait la maison où vivraient mes petits-enfants ?

J’ai tenté d’en parler à Camille. Elle m’a dit que c’était temporaire, que Julien voulait juste « protéger le patrimoine familial ». Mais je connais ces histoires. J’ai vu trop de femmes se retrouver à la rue après un divorce ou un décès soudain. Je ne veux pas ça pour ma fille.

Les semaines passent et la tension monte. Julien devient nerveux, il évite mes questions. Un soir, alors que je garde Léa pour qu’ils puissent aller à une échographie, je surprends une conversation entre Camille et lui dans le couloir :

— Tu ne fais pas confiance à ma famille ?
— Ce n’est pas ça… Mais pourquoi ne pas mettre la maison à nos deux noms ?
— Parce que c’est plus simple comme ça !

Je sens la colère monter en moi. Pourquoi ce besoin de tout contrôler ? Pourquoi cette méfiance envers ma fille ?

Un dimanche, nous sommes tous réunis pour fêter l’anniversaire de Léa. Madame Dupuis est là, bien sûr. Elle s’installe dans le salon comme si elle était déjà chez elle.

— Vous savez, dit-elle en me lançant un regard appuyé, il faut penser à l’avenir. Les familles qui savent protéger leur patrimoine ne finissent pas à la rue.

Je serre les dents. Est-ce une menace ? Une pique ? Je sens les larmes me monter aux yeux mais je me retiens.

Après le gâteau, je prends Camille à part dans la cuisine.

— Tu dois te protéger, ma chérie. Pense à tes enfants. Si la maison n’est pas à ton nom…
— Maman, arrête ! Tu crois que je ne pense pas à eux ? Mais si je refuse, Julien va mal le prendre… Il parle déjà de partir chez sa mère.

Je vois la peur dans ses yeux. Elle aime Julien, elle veut croire en leur couple. Mais moi… moi je n’ai plus confiance.

Les jours suivants sont un enfer. Je me dispute avec Julien au téléphone :

— Vous n’avez pas mis un sou dans cette maison !
— Pardon ? Sans mon aide, vous n’auriez même pas eu l’apport !
— Ma mère a toujours su gérer les biens familiaux.

Je raccroche en tremblant de rage.

Je consulte une avocate à la mairie. Elle me confirme mes craintes : si la maison est au nom de Madame Dupuis et qu’il arrive quelque chose à Julien ou à leur couple, Camille n’aura aucun droit. Je rentre chez moi anéantie.

Un soir, Camille débarque chez moi en pleurs.

— Il m’a dit que si je n’acceptais pas, il partirait… Il m’a traitée d’ingrate…

Je la serre dans mes bras comme quand elle était petite. Je voudrais tant la protéger du monde entier.

Les semaines passent et rien ne s’arrange. La signature chez le notaire approche. Je sens que tout va basculer.

Le matin du rendez-vous, je me lève tôt. Je décide d’y aller aussi. J’entre dans l’étude notariale le cœur battant.

— Madame Dupuis sera propriétaire unique ? demande le notaire.

Je prends la parole avant que quiconque ne réponde :

— Non. Je refuse de financer une maison qui n’assure pas l’avenir de ma fille et de mes petits-enfants.

Un silence glacial s’abat sur la pièce. Julien me fusille du regard. Madame Dupuis blêmit.

Camille me regarde avec des yeux pleins de larmes mais aussi… de gratitude ?

Finalement, après des heures de discussions tendues, un compromis est trouvé : la maison sera au nom des deux époux. J’ai l’impression d’avoir mené une guerre.

Ce soir-là, seule dans ma cuisine, je repense à tout ce qui s’est passé. Ai-je eu raison d’intervenir ? Jusqu’où une mère doit-elle aller pour protéger ses enfants ? Est-ce vraiment possible d’être juste quand il s’agit des siens ?